La formation à l'École nationale d'administration - 13/11/2012
Interview de Nathalie Loiseau, directrice de l'École nationale d'administration
Alors que les missions des agents publics requièrent une expertise technique toujours plus grande, quel sens a pour vous le maintien d'une formation commune des hauts fonctionnaires de l'Etat ?
Les élèves de l’ENA ont vocation à poursuivre des parcours professionnels diversifiés, au cours desquels ils auront rapidement des responsabilités d’encadrement. L’école se doit donc de leur fournir un socle commun de références et de connaissances qui leur permettront une vision interministérielle de leurs responsabilités. Ces connaissances communes portent sur les enjeux européens et internationaux, les finances publiques, les questions économiques, le droit et le management public. Qui pourrait aujourd’hui affirmer que tout haut fonctionnaire ne doit pas être muni de ce bagage ? Par ailleurs, si la formation initiale des élèves a été ramenée à 24 mois, les administrations et les corps d’accueil auprès desquels ils sont affectés à leur sortie de l’école ont vocation à compléter cette formation par une spécialisation propre aux métiers qu’ils auront choisi. Cet équilibre entre formation généraliste par l’école et formation spécialisée par les employeurs me paraît une bonne approche qui mérite d’être poursuivie.
Comment l'ENA adapte-t-elle sa formation initiale à l'évolution considérable du contexte de l'action publique (décentralisation, droit communautaire...) ?
Depuis sa création, l’ENA n’a cessé de se réformer, signe de son souci permanent de s’adapter aux transformations successives du contexte de l’action publique. L’importance des enjeux européens tout comme le mouvement vers davantage de décentralisation sont naturellement pleinement pris en compte par l’école, qui a ainsi conçu la formation initiale de ses élèves en trois blocs : un module Europe qui familiarise tous les futurs hauts fonctionnaires avec les enjeux et le fonctionnement des institutions européennes, un module Territoires qui accorde une place croissante aux collectivités territoriales et un module gestion et management public naturellement incontournable. Le rôle de l’Etat évolue et la formation de ses cadres doit correspondre à cette évolution : la société française est fondamentalement en attente du rôle de l’Etat mais d’un Etat stratège, régulateur et capable de pensée prospective. La formation dispensée par l’ENA vise à répondre à cette attente.
On parle beaucoup des valeurs de la fonction publique : ont-elles une place dans les enseignements (notamment en matière d'appropriation du sens de l'exemplarité que doivent avoir les hauts fonctionnaires) ?
L’ENA n’est pas une business school. C’est une école de service public, c’est à dire une école de l’intérêt général. Le Réseau des Ecoles de Service Public a beaucoup travaillé sur le thème des valeurs; l'ENA, très active au sein de ce réseau, transmet ces valeurs aux élèves, auditeurs et personnels dès leur entrée à l'école. Un enseignement spécifique est dispensé sur la déontologie, les conflits d'intérêt, les droits et devoirs du fonctionnaire. Cette exigence d’exemplarité est donc très présente dans la formation dispensée aux élèves. Et les élèves sont eux-mêmes fortement en demande. Il est indispensable de formaliser et de transmettre les règles déontologiques propres à la fonction publique car le fonctionnaire est confronté à des situations souvent complexes, face auxquelles il peut se trouver désorienté tout en étant exposé au regard de ses concitoyens. La déontologie est une matière évolutive mais centrale.
L'ENA est le principal opérateur interministériel de la formation continue des hauts fonctionnaires ; or on sait que ceux-ci ne se forment pas assez. Comment comptez-vous corriger cet état de fait ?
Un gros travail a été accompli par l’école, en lien avec la DGAFP et le SGG, pour offrir aux hauts fonctionnaires la formation continue dont ils ont besoin. Ainsi, depuis plusieurs années, l’ENA organise une formation pour tous les nouveaux sous-directeurs et pour tous les nouveaux directeurs d’administration centrale. Ces formations sont appréciées et permettent un regard approfondi et des échanges de vues sur les questions de management. Dans quelques jours, l’école ajoutera un nouvel étage à ce dispositif de formation continue en assumant le premier Cycle Interministériel de Management de l’Etat à destination des futurs cadres dirigeants. Enfin, depuis cette année, l’école offre à ses « jeunes anciens » des formations complémentaires qui interviennent quelques mois après leur prise de poste et s’appuient sur l’ancrage des hauts fonctionnaires dans la réalité de leurs responsabilités. Par ailleurs, un droit de tirage gratuit sur le catalogue de formation continue de l'école est offert aux anciens élèves pendant les 5 ans qui suivent leur scolarité.
Plusieurs de ces formations sont obligatoires et doivent être vécues par ceux qui en bénéficient non pas comme un sacrifice qu’ils consentent, même si tout le monde connaît la lourdeur de leur emploi du temps, mais comme un effort consenti par l’Etat en leur faveur. La formation, qu’elle soit initiale ou continue, est un investissement dans ce que l’Etat a de plus précieux, à savoir sa ressource humaine. L’école s’adapte de son côté aux contraintes des hauts fonctionnaires en activité en proposant des modules courts et récurrents qui parviennent à se glisser dans les agendas les plus chargés.
Par ailleurs, l’école propose des formations spécifiques en lien avec l’actualité, qu’il s’agisse de questions de management, de communication ou de politiques publiques.
Votre expérience professionnelle antérieure à l'étranger a dû vous confronter à des hauts fonctionnaires formés selon d'autres modèles. En avez-vous tiré des idées s'agissant de la formation de notre haute fonction publique ?
Chaque fonction publique est le fruit de son histoire et des attentes des citoyens à son endroit. Certains pays font le choix de recruter leurs hauts fonctionnaires à la sortie de l’université et intègrent des profils très variés. Ils y gagnent à l’évidence en diversité. Pour autant, ces mêmes pays (je pense aux Etats-Unis par exemple) investissent massivement dans la formation de leurs cadres publics immédiatement après le recrutement et selon des formations spécifiques à chacune des administrations d’emploi. C’est par exemple le cas du Foreign Service Institute du Département d’Etat qui forme tous les nouveaux diplomates américains et emploie à lui seul 500 personnes ! Par ailleurs, les carrières des hauts fonctionnaires peuvent être très différentes des nôtres. Qu’on songe seulement, pour rester sur l’exemple américain, au spoil system.
Le choix d’une Ecole nationale d’administration relève d’une logique différente : il s’agit d’assurer un recrutement de qualité et démocratique puis une formation interministérielle d’excellence au profit d’une fonction publique impartiale et capable de s’adapter aux attentes de nos concitoyens. Avant l’ENA, chaque administration recrutait ses profils propres, ce qui lui garantissait un certain niveau d’expertise mais accentuait le cloisonnement entre les ministères et ne protégeait ni contre la cooptation, ni contre les recrutements politiques.
Aujourd’hui, le modèle porté par l’ENA bénéficie d’un rayonnement international incontestable, dont témoigne l’essor tout à fait remarquable des formations assurées par l’école au bénéfice de nos partenaires étrangers. Le fait que la Chine se soit dotée d’une école inspirée de l’ENA montre que le modèle français continue à faire des émules.