Assises territoriales de l'environnement - Nord-Pas-de-Calais Picardie à Arras - 24/02/2003
Mesdames et Messieurs,
Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les conseillers régionaux, les élus
Messieurs les préfets,
Mesdames et Messieurs,
D'abord permettez moi de vous dire merci. Dans ces moments d'incertitude, dans ces moments d'interrogations profondes, merci de votre mobilisation, du discours tenu par nos jeunes, formidable capacité pour la France d'interpeller le monde. Et je crois qu'au travers de ces réunions qu'a souhaitées le Président de la République et Mme Bachelot, il faut que nous soyons certains les uns et les autres de l'importance du sujet.
Auguste COMTE disait "savoir pour prévoir et prévoir pour agir". Nous sommes à un moment où, après avoir vécu un peu dans le projet du siècle des Lumières et du XIXè siècle, on vit encore dans l'idéalisation du progrès. On vit encore sur cet acquis culturel qui nous laisse croire que tout est positif et que le progrès très naturellement amène dans notre civilisation une pente positive. Les choses iraient forcément toujours mieux. Et on résiste psychologiquement peut-être à comprendre que nous sommes dans un monde où la régression et le drame sont possibles, qu'il y a des problèmes non maîtrisés et qu'il faut espérer dans ce cas là une attitude de révolte et non pas une attitude d'acceptation.
Et c'est tout à l'honneur de la France, de son président Jacques Chirac, d'avoir porté dans les débats internationaux à Johannesburg cette question politique majeure. Au moment où le progrès fait reculer les limites du possible, est-ce qu'il n'est pas en train de nous faire rapprocher les limites de l'inacceptable ?
C'est d'autant plus important que dans une logique où les intérêts s'imposent on voit bien que les pays sont divisés. Dans l'organisation mondiale du commerce nous avons des débats lourds et difficiles où un certain nombre de pays estiment que poser le problème de l'environnement et y compris les droits sociaux, les droits de l'enfant, est un frein à leur développement et la capacité pour les pays développés de garder leur part du gâteau.
Et donc vous voyez que nous avons là un problème politique majeur. Mais ce fut la même chose quand, en 1789, on a posé les droits de l'homme, à un moment où je le rappelle la vie de l'homme n'avait pas d'importance, la notion même de l'enfant n'avait pas d'importance. Puis en 1946 on a commencé à poser les problèmes des droits sociaux.
Et à chaque fois cela a prêté à sourire, cela a créé des débats très enflammés mais l'on voit bien que si on veut vivre ensemble il faut qu'on ait une morale qui transcende nos comportements et que la morale doit être appuyée sur des principes et qu'aujourd'hui l'invitation que vous lancent le Président de la République et Mme Roselyne Bachelot avec la commission présidée par le professeur Coppens, et je salue M. François Loloum et Pierre Picard qui sont ici présents, c'est que nous vous invitons à écrire ensemble notre morale collective.
Les principes qui doivent nous guider pour avoir un développement équilibré se placent sur le plan du respect des personnes, sur le plan du respect de l'environnement, à un moment où nous voyons un paradoxe se développer : une recherche de plus en forte de responsabilisation collective et une émergence de plus en plus forte d'irresponsabilités individuelles.
Ne croyons pas que cela est irréversible. Nous voyons bien aujourd'hui notre attitude par rapport au tabac. Ayons confiance dans la nature de l'homme, il est perfectible par définition. A condition que les lois non écrites soient plus fortes que les lois écrites. Et, si nous voulons éviter de tomber dans la société de l'interdit, c'est par l'éducation, la responsabilisation, la sensibilisation, la modification des conduites individuelles que nous réussirons un bien-être collectif.
C'est d'autant plus important que, si l'espace est la marque de notre puissance - il suffit de regarder autour de nous ces formidables prouesses technologiques - paradoxalement, le temps est la marque de notre faiblesse. Et nous ne pouvons pas un seul instant imaginer devoir à ces prouesses technologiques la dégradation de notre espace de vie.
Dans l'antiquité ou encore relativement récemment, on comptait sur la nature pour pouvoir réparer les dégâts, pour assurer la bonne marche des affaires, mais aujourd'hui la technologie moderne a défait ce pouvoir réparateur de la nature, ceci nous interdit la négligence et votre présence fait chaud au coeur car on sent bien que vous avez refusé cette négligence et que vous souhaitez vous impliquer avec nous sur le principe de la responsabilisation.
Mais nous devons faire en sorte aussi d'être attentifs à ce que l'inflation des droits ne nous donne pas l'illusion que nous soyons dégagés du catalogue de nos devoirs. Et je suis d'autant plus intéressé au nom de ma collègue Roselyne Bachelot, sous la direction, la houlette, l'autorité du Président de la République et du Premier Ministre, d'être ici avec Gilles de Robien pour vous entendre, vous écouter et saluer la qualité de vos travaux que vous avez pu mener dans 3 villes symboliques : Maubeuge, Liévin et Compiègne. Et aussi sur des sujets importants : la chasse, le bassin minier et les inondations.
Je voudrais remercier les services de l'Etat, toutes celles et ceux qui vous ont permis d'enrichir ce qui doit nous amener à écrire une page de la constitution. Peut-être même une charte citée dans le préambule, si cette décision est arrêtée - mais elle n'est pas encore arrêtée - ce qui voudrait dire que nous serions au même niveau que la déclaration des droits de l'Homme. J'espère que vous mesurez toute l'importance de cette démarche d'autant plus qu'elle souhaite être participative et qu'ensuite elle sera portée au fronton du monde pour pouvoir indiquer à chaque fois le repère autour duquel nos décisions de dimensions nationales, européennes, internationales doivent être prises.
Concilier le progrès, la science avec le respect de la dimension humaine et de la protection de la nature, c'est cela la dimension nouvelle du progrès. M. Feldman qui était président de la FED américaine a une phrase qui m'a toujours beaucoup marqué qui consistait à dire que notre système économique moderne ne peut concevoir un enrichissement collectif qui serait construit sur l'appauvrissement des autres. Il faut que nous soyons dans un bilan gagnant-gagnant. Comment concilier le développement économique et la protection de l'environnement, le développement économique et l'épanouissement des hommes.
Je voudrais attirer votre attention sur le fait que cette région du Nord-Pas-de-Calais Picardie a plus que d'autres probablement à décliner son image en harmonie avec elle-même et avec la nation. C'est une région qui est plus responsable que d'autres en matière de protection de l'environnement. C'est une région dont les politiques de l'environnement, qui sont souvent perçues comme contraignantes, sont appliquées avec le plus d'efficacité. C'est une région qui fait le maximum d'efforts pour corriger son image souvent véhiculée maladroitement par des médias plus avides de sensationnel que de vérité.
Et c'est une difficulté d'ailleurs de juger de la relativité de nos actions. Les politiques de l'environnement sont des politiques d'investissements avec des effets retour assez éloignés. Nous sommes aujourd'hui marqués par des décisions qui risquent de frapper Metaleurop. Nous devons aussi être attentifs à ce qu'il y a une vingtaine d'années ou dans notre tendre enfance quand nous nous promenions le long des canaux de la Dole nous ne pouvions pas voir l'eau tellement la mousse était épaisse, qu'il y avait un certain nombre d'endroits qui nous étaient condamnés. Donc certes nous avons encore quelques cicatrices, nous avons encore quelques blessures mais grâce aux efforts des gens du Nord, combien de blessures ont été cautérisées, combien de paysages ont été restructurés, réhabilités, rénovés !
Je vous invite donc aujourd'hui à avoir un débat mais avec peut-être une réflexion politique que je me permets de vous livrer. La cause de l'environnement est une cause qui doit nous rassembler. Elle ne doit pas nous diviser. Car cette cause nous dépasse. Lorsque je regardais le problème de la chasse avec le respect des traditions qui font la force du passé mais qui, au nom de celles-ci, pour certains fragilise l'avenir, comment concilier le choc des plaisirs légitimes par les traditions avec le souci de ne pas voir s'appauvrir l'avenir ? Et comment cultiver les paradoxes où les chasseurs sont pour les uns de misérables viandards et pour d'autres de merveilleux écologistes ?
Et l'on voit bien que sur cette affaire, au delà de la prise de conscience, il faut aussi une attitude d'écoute, de respect. Ce qui d'ailleurs pose le problème des experts et des enjeux. Qui détient la vérité ? Qui est sûr d'avoir la vérité ? C'est d'autant plus important qu'au moment où on est tous en train de demander du respect et de la tolérance, on a une tentation très forte de vouloir imposer sa vérité à l'autre à partir du moment où le discours de l'autre ne correspond pas à nos attentes.
Comment jouer la transparence ? Comment assurer l'information du public ? A un moment où nos concitoyens sont avides de transparence et sont en même temps extrêmement sensibles à l'explosion des peurs et des craintes irrationnelles.
On le voit dans des dossiers comme les ordures ménagères : nous avons cohabité avec des décharges qui n'étaient pas toujours très contrôlées et au moment où on assure la maîtrise des risques avec plus d'information, la crainte de l'opinion n'a jamais été aussi forte. C'est vrai dans des débats comme le nucléaire. Et c'est vrai dans des débats qui frappent d'autres énergies comme les éoliennes.
Nous sommes dans des conflits d'usage permanents où on ne cherche pas toujours la quête de vérité, on cherche à instrumentaliser la vérité pour défendre un intérêt catégoriel au détriment de l'intérêt général. C'est un souci important dans cette charte de l'environnement de faire en sorte qu'au nom des principes la morale nous transcende et que nous puissions nous y retrouver.
C'est vrai aussi pour le bassin minier et le développement durable avec la dimension humaine du développement économique. J'entendais ce matin à la radio comme vous l'expression de celles et ceux qui voient disparaître leur vie parce que l'entreprise faisait partie de leur vie.
Comment réduire la dépendance de nos territoires par rapport à la dépendance des hommes que l'on observe. Et comment faire en sorte que l'intérêt écologique soit aussi celui du bonheur et de l'épanouissement des individus sur un territoire ? Et en même temps comment concilier aussi la ville et l'industrie ?
Nous allons avoir un vieillissement de la population ce qui fait que nous allons avoir de plus en plus de nos concitoyens consommateurs de territoires et non pas utilisateurs de territoires. Et ces consommateurs de territoire vont exiger des paramètres de qualité, de silence. Lorsque je vais à la campagne c'est pour avoir le calme et le bruit réparateur de mon activité urbaine et donc forcément l'activité agricole vient perturber mon exigence. Donc nous devons trouver cela.
Et puis enfin les inondations dans la Somme en particulier. Comment prévenir ? Comment respecter les lois de la nature ? Comment faire en sorte qu'effectivement nous découvrions en même temps l'humilité de notre dimension dans cet espace planétaire ? Je crois que nous sommes tous aujourd'hui responsables, c'est la raison de votre présence, je tiens à vous en remercier et je vous laisse maintenant ensemble écrire ces principes qui doivent demain guider notre conduite individuelle et collective.
Seul le discours prononcé fait foi.
[24/02/03]