Colloque au Sénat - "les enjeux du haut-débit : collectivités locales et territoires à l'heure des choix" - 12/11/2002
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous ce soir et de clore ce colloque organisé par le Sénat, en partenariat avec la Caisse des Dépôts, et consacré au haut débit et aux collectivités territoriales. Je n'ai malheureusement pas pu participer personnellement à cette journée qui m'a paru riche dans son programme et ses interventions.
L'organisation d'un tel colloque me paraît en tout cas tout à fait opportune au moment où les initiatives des collectivités territoriales se multiplient et le gouvernement s'apprête à préparer une loi sur la décentralisation et à transposer en droit français le second paquet de directives européennes relatif au secteur des télécommunications.
Mon propos aujourd'hui ne sera donc pas de faire la synthèse des débats. Je m'attacherai plutôt à vous faire part des réflexions en cours au gouvernement et dans mon ministère.
Avant d'évoquer les pistes de réflexion du gouvernement, je souhaiterais rappeler quelques éléments de contexte.
I. Constat
Le haut débit représente aujourd ?hui un enjeu essentiellement professionnel
La question de l'accès au haut débit sur le territoire, à la différence de celle de l'accès aux réseaux mobiles, se pose aujourd'hui en priorité pour les entreprises et les établissements publics, en particulier de recherche, d'enseignement et de santé. Le marché de l'Internet à Haut Débit pour les particuliers est en effet encore peu développé, y compris dans les grandes agglomérations : il ne représente qu'un million de clients, soit 5% du marché adressable, ce qui place aujourd'hui la France dans une situation peu flatteuse en Europe.
Le marché doit d'abord être stimulé par le jeu de la concurrence.
Dans ce contexte, le gouvernement doit s'attacher en premier lieu à favoriser le développement du marché par la stimulation de la concurrence à laquelle participent les fournisseurs d'accès Internet et les opérateurs de télécommunications. Les décisions récentes du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de l'ART sur le dégroupage et l'ADSL permettent enfin d'atteindre des tarifs pour la clientèle résidentielle susceptibles de faire grimper rapidement les taux de pénétration commerciale.
Le risque de fracture numérique qui se dessine à moyen terme justifie que l'État et les collectivités locales s'intéressent à l'aménagement numérique du territoire
La poursuite du plan de déploiement de l'ADSL sur le territoire est et demeure essentiellement le fait de France Telecom. Même si France Telecom prévoit que fin 2004 près de 85% de la population aura accès à cette technologie, et qu'à cette date, la France pourrait compter près de 10 millions d'abonnés au haut débit, toutes technologies confondues, l'offre haut débit serait, à cet horizon, sans intervention publique, concentrée sur une partie seulement du territoire.
Le risque de « fracture numérique» du territoire, à panoplie technologique constante, pourrait alors commencé à être ressenti par les habitants des zones à faible densité de population et notamment dans les communes isolées de moins de 5000 habitants.
C'est donc par anticipation de ce phénomène, amplifié par la crise conjoncturelle du secteur des télécommunications, que le gouvernement, l'ART et les collectivités locales doivent agir.
Les collectivités territoriales se sont déjà emparées du sujet.
La CDC évoquait tout à l'heure les 129 projets d'infrastructure qu'elle a recensés. Ces projets visent à renforcer le maillage des réseaux de collecte à l'échelon régional et départemental et, pour certains d'entre eux, à desservir par des réseaux métropolitains (les MANs) les entreprises implantées localement. Les collectivités territoriales s'intéressent aussi au développement des usages et des services, auxquels les contrats de plan État-Région 2000 -2006 sont aujourd'hui essentiellement consacrés.
Le gouvernement est favorable à ces initiatives qui contribuent à favoriser l'émergence d'une offre concurrentielle sur les territoires :
- Les actions de l'État et des collectivités territoriales visant à développer des bouquets de service et d'usages relevant des services publics de proximité, et à atteindre de nouveaux publics par la multiplication des accès publics à Internet, sont en effet susceptibles, en association avec les offres services de nature commerciale, de générer une demande à même d'attirer les opérateurs.
- De la même manière, la construction d'infrastructures de télécommunications mutualisables contribue à désenclaver les territoires en facilitant l'intervention des opérateurs.
Je suis pour ma part plus réservé sur les interventions des collectivités qui, par l'intermédiaire de marchés de services par exemple, contribuent à financer les infrastructures d'opérateurs, sans que ces infrastructures ne soient destinées à être mises à disposition d'autres opérateurs. De telles initiatives sont susceptibles de fausser le jeu de la concurrence sur le marché et, par là-même, d'être entachées d'illégalité.
II. Intentions du gouvernement
Ces éléments de contexte étant rappelés, je souhaite vous faire part des pistes de réflexion du gouvernement. Ces pistes concernent :
- la nécessaire clarification du champ d'intervention des collectivités territoriales,
- l'opportunité de mettre en cohérence les actions des collectivités territoriales,
- l'accompagnement des projets de desserte,
- et l'accompagnement financier des collectivités territoriales.
En premier lieu, le gouvernement se doit de clarifier le rôle qu'il entend faire jouer aux collectivités territoriales dans le secteur des télécommunications.
Les questions qui se posent, vous les connaissez :
- Les collectivités doivent-elles devenir opérateurs de télécommunications ?
- Doivent-elles avoir la possibilité d'investir non seulement dans les équipements passifs mais aussi dans des équipements actifs ?
Je dois tout d'abord préciser qu'il n'y a sur le sujet, et à cette date, aucune position officielle du gouvernement. Suite à l'avis du Conseil d'État, cette position devra être définie rapidement, au plus tard dans le cadre des travaux qui prépareront d'ici à juillet 2003 la transposition en droit français du dernier paquet de directives européennes.
Je suis, pour ma part et à titre personnel, réservé sur le fait d'autoriser les collectivités territoriales à exploiter elles-mêmes directement des réseaux de télécommunications à destination des utilisateurs finals. Les collectivités territoriales ne me semblent en effet pas préparées pour ce métier qui me paraît bien éloigné de leur champ de compétences traditionnelles, ni demandeuses d'une telle évolution. Comme je l'indiquerai tout à l'heure, cela n'exclut pas que des expérimentations soient menés dans ce domaine dans les territoires les plus mal desservis.
Il me semble d'un autre côté que limiter le champ d'intervention des collectivités territoriales à la création d'infrastructures passives, comme le fait l'article L1511-6 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction actuelle, génère des difficultés inutiles.
En parallèle à la clarification du rôle qu'il entend faire jouer aux collectivités territoriales, le gouvernement devra donner aux collectivités territoriales les moyens juridiques d'intervenir, en particulier dans les zones mal desservies. Je veux bien sûr parler des modalités de mise à disposition des infrastructures qu'elles auront construites, lorsque cette mise à disposition ne pourra s'effectuer qu'à des tarifs inférieurs aux coûts de revient des infrastructures. Ces modalités devront être fixées dans un décret en Conseil d'État, à la rédaction duquel les services du gouvernement travaillent.
L'État souhaite favoriser la mise en cohérence des interventions des collectivités locales
Une mise en cohérence des initiatives des collectivités territoriales nous paraît nécessaire pour garantir l'efficacité de leurs interventions respectives, et la mise en oeuvre d'une forme de péréquation locale. Elle pourrait justifier que la notion de chef de file s'applique au domaine des télécommunications. Une idée qui fait son chemin est que l'échelon régional, qui pourrait jouer ce rôle de chef de file, ait la charge de définir un schéma de cohérence régional dans le cadre duquel s'inséreraient les initiatives intercommunales et départementales. Ce schéma qui pourrait être établi sur la base de l'étude de l'existant en cours de finalisation par la DATAR permettra aussi de garantir que les infrastructures développées par les collectivités locales sont cohérentes fonctionnellement et technologiquement avec les infrastructures développées par les opérateurs. L'échelon régional pourrait également être chargé de constituer un centre d'expertise et de ressources techniques qui soutiendrait en tant que de besoin les démarches des collectivités de la région, d'établir un observatoire régional des réseaux existants et à venir, et de proposer un guichet unique à l'échelon régional facilitant l'accès à la domanialité publique.
L'État souhaite également accompagner les projets de desserte à l'échelle de l'intercommunalité
L'État souhaite dans ce domaine, et en premier lieu, favoriser l'utilisation de technologies alternatives :
- les solutions satellitaires, hier encore peu compétitives pour des applications point à point, atteignent aujourd'hui des niveaux tarifaires abordables. Elles sont probablement dans certains territoires ruraux les seules solutions à même de répondre rapidement et de manière satisfaisante aux besoins des PME. Toutefois, la diffusion de cette technologie dans les territoires est aujourd'hui freinée par un régime de redevances handicapant. Ce constat conduit le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie à étudier la révision de ce régime.
- Les technologies hertziennes comme le Wifi constituent aussi des pistes encourageantes. Les lignes directrices publiées par l'ART le 7 novembre ouvrent la voie à des expérimentations du WIFI en environnement ouvert à l'échelle territoriale qui pourront débuter dès janvier 2003. Cette solution comporte potentiellement de sérieux atouts technico-économiques pour les territoires ruraux.
Pour faciliter la desserte des territoires, le gouvernement devra aussi examiner l'opportunité de laisser les collectivités locales s'impliquer, à titre expérimental ou dérogatoire, directement dans la mise en oeuvre et l'exploitation de réseaux. De telles expérimentations ou dérogations pourraient en pratique être justifiées pour permettre la desserte effective des territoires les plus isolés.
L'État souhaite également accompagner financièrement les collectivités territoriales
Il convient en premier lieu de constater que les objectifs fixés lors du CIADT de juillet 2001 ne se sont pas traduits, hors mandat confié à la CDC, par la mise en place de financements d'État proportionnés. Les TIC représentent en particulier moins de 2.5% des ressources contractualisées dans les CPER.
Dans ce contexte, l'État recherche en premier lieu à optimiser la mobilisation des financements disponibles.
Lors de ma dernière visite à Bruxelles, j'ai eu l'occasion d'évoquer la question de la mobilisation des crédits européens FEDER Obj 1 & 2, avec le commissaire Michel Barnier. Ce dernier s'est montré ouvert à des ajustements des DOCUP, et en a accepté la révision anticipée. En parallèle, des discussions ont été engagées à mon initiative avec les services de la Direction Générale de la Concurrence afin de les rassurer sur le fait que ces financements n'auront pas pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. Ces échanges, conjugués à la révision anticipée des DOCUP, sont prometteurs.
Je souhaite également que le gouvernement, en concertation avec la CDC, examine les éventuels ajustements à apporter aux conditions d'accès aux prêts de la CDC, qui aujourd'hui ne sont possibles qu'au travers des collectivités territoriales.
III. Conclusion
Vous l'aurez compris, les tâches qui attendent le gouvernement dans le dossier du haut débit sont nombreuses. Le gouvernement, conscient des enjeux, s'attachera à progresser de manière pragmatique et efficace, et en concertation avec les parties intéressées. Je souhaite en tout cas remercier le Sénat d'avoir organisé cette journée qui contribue au débat, et saluer le travail remarquable de la Caisse des Dépôts qui accompagne sur le terrain les collectivités dans leurs démarches.
Je vous remercie pour votre attention.
Seul le discours prononcé fait foi.
[12/11/02]