Valeurs du service public - 12/07/2012
Interview de Vincent Potier, directeur général du CNFPT
Président du réseau des écoles de services public (RESP)
A l'issue du colloque du réseau des écoles du service public intitulé "Valeurs du service public : tensions et transmissions" qui s'est tenu au CNAM le 4 juillet, Vincent Potier, directeur général du CNFPT et président du RESP, est revenu pour Trajectoires sur les principaux enjeux liés à ce thème fondateur des valeurs.
Vous êtes à l'origine du projet de charte ou déclaration commune du RESP sur les valeurs du service public, en quoi ce projet est-il important selon vous ?
Réfléchir sur les valeurs du service public, c’est revenir sur le sens de l’action publique, sur ce qui la motive et sur ce qui la singularise. Produire une déclaration commune du RESP sur les valeurs de service public, c’est, pour les écoles, partager un référentiel commun afin de sensibiliser et mobiliser autour de ces valeurs. Lors de la création du RESP en septembre 1996, les écoles avaient signé une déclaration commune affirmant que la « culture de service public » était un vecteur fort de leur identité commune, sans toutefois en décliner précisément les principes. Au cours des derniers mois, nous avons pu rendre plus explicite cette culture fondée sur des valeurs spécifiques adossées aux valeurs fondatrices de la République.
Au cours des années passées, le service public a pu, dans de nombreux domaines, être assimilé à un service comme un autre pouvant être aisément géré selon les lois du marché. Quelquefois même, il a pu être reproché aux services publics de ne pas faire aussi bien et d’être plus coûteux que des entreprises pouvant offrir des prestations équivalentes. Les acteurs de service public ont souvent vécu de manière péjorative ces différentes critiques et plus encore ceux qui, à travers leurs actions, tentent de faire vivre les valeurs qui leur ont été transmises. L’intérêt général et la recherche de la rentabilité ne sont pas toujours faciles à concilier.
Enfin, sous l’impact des réformes de l’Etat, du nouveau management public, les modes d’intervention et d’administration publics ont été repensés de façon à accroître l’efficacité et l’efficience des politiques publiques. Ces mutations ainsi que l’évolution des mentalités et des représentations sociales ont introduit progressivement de nouvelles valeurs susceptibles d’entrer en concurrence, voire en conflit, avec le socle historique des valeurs du service public.
Pour toutes ces raisons, il est important aujourd’hui de resituer l’action publique en partant des valeurs qui la fondent ; la formation des cadres qu’assurent les écoles du RESP peut être un levier puissant au service de cette ambition.
Quelles sont les principales évolutions que l'on constate en 2012 sur ce thème des valeurs ? Les fonctionnaires parlent-ils tous le même langage sur ce thème ? Les jeunes fonctionnaires s'identifient-ils aux valeurs qui fondent le service public ?
Pour mieux rendre compte de ces évolutions, le RESP a conduit une enquête auprès de 5000 cadres de service public, au printemps 2011, qui s’est poursuivie en 2012 sous la forme d’entretiens qualitatifs auprès d’une centaine de cadres. Christian Chauvigné, responsable du Centre d'appui à l'amélioration de la qualité à l’École des hautes études en santé publique (l’EHESP) et professeur associé à l’université de Haute Bretagne, a coordonné cette enquête. Ses résultats nous amènent à constater que la transmission des valeurs de service public fonctionne plutôt bien si l’on prend en compte la grande convergence observée dans l’identification des principales valeurs représentatives du service public. Souvent ces valeurs ont été véhiculées par le milieu familial et elles ont joué un rôle dans le choix de carrière. Les valeurs de référence qui reviennent le plus souvent quelle que soit la Fonction publique (Etat, Territoriale, Hospitalière) sont l’intérêt général, la continuité du service, l’égalité de traitement et la neutralité. Aucune différence n’a pu être relevée entre les jeunes et les plus âgés, contrairement à l’hypothèse que nous avions retenue d’un positionnement particulier de la génération Y.
L’enquête visait notamment à faire s’exprimer les répondant sur leurs valeurs de référence, les valeurs les plus attendues des pouvoirs publics et des citoyens, les valeurs les plus fragilisées et celles qu’ils mettaient en acte. Des différences significatives sont apparues entre les réponses à ces différentes questions. Si la question des valeurs fait problème, c’est, semble-t-il, moins par manque d’identification de valeurs clés que par la difficulté à les faire vivre (les valeurs les plus représentatives sont aussi les plus fragilisées), à dépasser les contradictions identifiées entre valeurs historiques construites en référence à l’idée de communauté nationale et valeurs contemporaines marquées par le souci de la qualité et de l’efficience, à la perte de sens liée pour partie à une moindre considération sociétale du secteur public.
Le colloque organisé par le RESP le 4 juillet au CNAM, s'intitulait "Les valeurs du service public : tensions et transmissions". A quoi faites-vous référence lorsque vous évoquez des tensions ? Quels sont les enjeux ?
Les tensions sont, en grande partie, liées à des conflits de valeurs relatifs à la mise en œuvre des actions alors même que ces questions ne sont pas traitées au niveau de l’organisation et où chacun se retrouve face à lui-même pour faire ses choix. Ces conflits sont exacerbés par l’opposition vécue entre valeurs propres et attentes perçues dans un contexte où la loyauté est de mise. Faute d’un travail collectif autour des valeurs de service public, d’une réappropriation au plus près des actions et des projets, d’une explicitation de la place relative de ces valeurs dans les missions, le risque est grand de voir augmenter le malaise de ceux qui mettent en œuvre le service public accompagné pour certains de retrait, de désinvestissement, voire de souffrance au travail.
A la fin des années 90, des préoccupations de ce type ont conduit, en Amérique du Nord, au développement de l’Ethique publique comme discipline de recherche et d’enseignement. En 2000, Le rapport de l’OCDE « Renforcer l’éthique dans le service public » décrit un contexte de redéfinition des valeurs notant que « les pays ont remis l’accent sur les valeurs traditionnelles tout en leur donnant un contenu moderne et en leur ajoutant des valeurs nouvelles » liées aux « exigences de plus en plus axées sur les résultats ». L’éthique dans le service public est présentée comme « nécessaire à la confiance du public » et comme constituant « la clé de voûte d’une bonne gouvernance ».
Enfin, selon l'enquête réalisée par le RESP, existe-t-il un décalage entre les valeurs du service public telles que par les citoyens et par les agents publics ?
L’ensemble des répondants perçoit bien combien les évolutions sociétales participent de la difficulté à faire converger sur un même plan des valeurs républicaines portant la cohésion sociale et communautaire et l’affirmation de valeurs individualistes s’inscrivant plus facilement dans la rationalité du marché où les valeurs d’efficacité et de qualité sont au premier plan. Le citoyen bénéficiaire du service public est devenu consommateur. Les nouvelles exigences posées au service public ne viennent pas exclusivement des pouvoirs publics mais de l’ensemble des bénéficiaires des services publics auxquels participent accessoirement les agents publics lorsqu’ils changent de rôle. Toutefois les citoyens plébiscitent aussi les valeurs de continuité et d’égalité de traitement, valeurs portées par les agents publics.