Une nouvelle ère est à développer pour les acteurs de la formation
Autres pages | Publié le 19 décembre 2022 | Mis à jour le 22 décembre 2022
Audrey Pérocheau, directrice du développement des compétences dans les territoires à la direction générale de Pôle-emploi, est en lien permanent avec les acteurs et financeurs de la formation dans le service public. Elle constate, depuis la crise sanitaire, l'émergence de nouveaux horizons. Et si nous assistions à la mise en place de nouvelles modalités pédagogiques au sein des formations professionnelles ?
Comment Pôle emploi s’est-il adapté au nouveau contexte de la crise sanitaire ?
Pôle emploi finance des formations pour les demandeurs d’emploi, dans le cadre de marchés publics ou d’aides individuelles. La question était ainsi le devenir de ces formations quasiment toutes présentielles avant le confinement et la situation des demandeurs d’emploi qui s’y étaient engagés. La gestion, lors du premier confinement, a été pragmatique. Assez vite, Pôle emploi a adapté les ordres de services aux organismes de formations attributaires de ses marchés, afin qu'ils puissent basculer leur formation du présentiel en distanciel ou a minima garantissent le maintien du lien pédagogique avec l’apprenant. Mais la rapidité du confinement n'a pas permis de préparer la bascule vers le distanciel des organismes de formation. On a vu la fragilité d'un système pédagogique qui, jusque-là, envisageait peu la formation autrement qu'en présentiel.
Que pensez-vous de l’introduction à marche forcée du distanciel dans les formations ?
Pour qu'à l'avenir il y ait des formations pensées en distanciel, avant de penser à l'aspect technique, il faut viser les finalités.
L'enjeu principal est de lever l'un des freins à l'entrée en formation, à savoir la distance géographique et les contraintes de mobilité, importantes parfois. Avant la crise sanitaire, encore aujourd’hui, c'est l’apprenant qui faisait surtout le premier pas en intégrant ces contraintes dans le choix, ou non, de suivre une formation... La logique doit s'inverser : il faut que la formation vienne à l’apprenant et non l'inverse, en gardant à l’esprit que certains demandeurs d’emploi, en l’espèce, n'ont pas accès aux formations en distanciel faute d'équipements.
De ce bouleversement que nous connaissons, le distanciel est l'une des solutions, mais pas la seule. Je pense aux tiers-lieux, qui permettront à certains apprenants et demandeurs d'emploi d'y trouver les ressources dont ils manquent chez eux (ordinateur portable, espace, environnement dédié, etc.). Mais nous pourrons passer en distanciel à une échelle différente quand les formations dites "à plateau technique" pourront intégrer des solutions technologiques alternatives aux actuels espaces matériels d’apprentissage et d’entraînement. Il n’est pas question non plus d’envisager une substitution totale du distanciel au présentiel ! L’enjeu est de disposer d’une palette de solutions pédagogiques suffisamment variée pour proposer la bonne formation à chacun : non seulement en termes de contenu et d’objectif, mais aussi en termes de durée, de lieu, de types de pédagogie. Les formations à distance ne sont pas adaptées à tout le monde non plus. Numérique/digital et présentiel ne s’opposent pas : ils se complètent, ils doivent s’hybrider.
Pensez-vous qu’au-delà de cette finalité, le distanciel peut avoir quelque vertu pédagogique ?
L'intérêt du "penser formation en distanciel" est que ce soit beaucoup plus interactif et permette la mise en mouvement de nouvelles modalités pédagogiques pour toutes les formations, inspirées des formations à distance. Une formation à distance n’est pas du e-learning, ce n’est pas un cours en ligne : c’est un parcours pédagogique individualisé, qui part des compétences de l’apprenant et lui propose un chemin pour acquérir celles qui lui manquent. Dans une formation, en présentiel ou en distanciel, il y a un formateur et des échanges synchrones bilatéraux ou en groupe (classe virtuelle, par exemple). C'est pourquoi, il ne faut pas craindre l'apport, notamment, de la réalité augmentée qui permet d’inscrire l’apprenant au plus près de l’activité de travail. Un pilote de ligne s'entraîne par exemple sur des simulateurs.
N’oublions pas en effet que le cerveau ne fait pas la différence entre le virtuel et le réel. Cet apport de la réalité augmentée me semble de nature à passer un saut qualitatif nécessaire et à une échelle quantitative inédite. Ceci est vrai, en particulier, pour les formations à caractère pratique dans le domaine industriel par exemple, ou encore du bâtiment ou des transports… mais les potentialités de ces nouvelles modalités pédagogiques restent encore largement à explorer !
Ce passage permettra sans doute d'augmenter les capacités d'accueil du nombre d'apprenants à une formation, tout en maintenant son caractère professionnalisant. En terme d'organisation aussi, la formation à distance est une piste majeure pour répondre aux situations des entreprises et des administrations qui peuvent avoir un choix vaste d’apprenants potentiels à former avant de les recruter par exemple, mais se heurtent au manque de capacité formative. Tout cela nécessite des investissements lourds, hors de portée sans doute pour la plupart des organismes de formation pris individuellement. En outre, il y a vertu à envisager des synergies et partager peut-être des outils pédagogiques communs entre organismes de formation dans une logique de coopétition. Le plan France relance adresse ce sujet en prévoyant un investissement de 200 M€ pour la digitalisation de sa formation, c’est une réelle opportunité.
Dans quelle mesure le secteur public pourrait être concerné par ces nouvelles modalités ?
Le e-learning, qui est appelé à tort "formation en ligne", est souvent insuffisant pour développer des compétences, car une compétence s’acquiert en faisant et en s’entraînant concrètement, mais il peut être utile pour nourrir la réflexion, accompagner un appui managérial, se servir d'un algorithme... On lui reproche souvent un manque d'interaction ou de parcours pédagogique personnalisé, mais il a le mérite de développer la culture générale, la veille professionnelle, le questionnement quant à une éventuelle mobilité, etc. Le e-learning et la formation en distanciel sont donc deux notions différentes, chacune adaptée à des situations professionnelles spécifiques. On sait par ailleurs qu’il est complexe de faire changer les représentations des individus, les postures de service… mais grâce au mixte distanciel-présentiel, nous pouvons imaginer des changements significatifs en terme d'impact de formations.
Pourquoi ne pas mettre en place pour certaines formations du secteur public un principe de formation augmentée grâce aux apports numériques ? En effet, nous pouvons avec le distanciel ou les outils pédagogiques numériques (serious game, par exemple) reproduire et expérimenter des situations de service, de conflits, ou d'autres situations impliquant la gestion de situation difficile, la coopération entre collègues, la relation avec un citoyen et/ou administré... Et cela peut se faire en toute discrétion et confidentialité, à l’appui d’un droit à l’erreur, quand on sait que le format présentiel induit, par crainte du jugement d’autrui, des phénomènes d’autocensure préjudiciables à la dynamique d’apprentissage.
Quelle place donnez-vous aux compétences dans le secteur public ?
La réflexion de fond est bien celle-ci : la place des compétences souhaitée au sein du secteur public. Et donc de la reconnaissance de l'acquisition de ces compétences par les agents ! Avoir une approche par les compétences – plutôt que par poste – est en effet bien différent...
C'est notamment pourquoi nous avons besoin de mettre en place des messages symboliques, afin d'inciter les agents à développer leurs compétences. Le dire, déjà, est important ; c'est ensuite seulement qu'ils pourront davantage penser à valoriser leurs compétences, à envisager de les développer. Dans cette optique, cela peut activer, ou maintenir, les compétences du collaborateur.
Dans mon équipe par exemple (Pôle emploi est dans une approche "compétences" au niveau RH), j'ai financé des formations de conduite de projet, que ce soit en présentiel ou en distanciel, et avec délivrance d'une acquisition d’un certificat de compétences. Ces formations reconnaissaient, le cas échéant, la capacité à travailler en mode projet. L'un des autres intérêts de la formation à distance est que le salarié peut suivre la formation depuis son poste de travail.
Pensez-vous qu’avec le e-learning, l’individualisation de la formation est encore d’actualité ?
Au sens strict, nombre de contenus e-learning ne répondent pas aux caractéristiques de la formation telle qu’elle est définie dans le code du travail. Pôle emploi ne finance pas de e-learning, ni de MOOC et j’ai peu à dire sur ces sujets. Concernant la formation proprement dite, au-delà de la dimension technologique de la formation, et pour un meilleur développement des compétences, la réponse normative doit être l'individualisation, que cela concerne le contenu de la formation ou les modalités, différentes selon les individus. Cette individualisation de l'organisation du parcours pédagogique, notamment pour le rythme de l'apprentissage, doit être pensée en amont, et ce pour attirer les publics ne pouvant se former en présentiel à court terme. Nous avons, qui plus est, la possibilité par le distanciel de développer la formation longue... et une formation longue et individualisée qui toucherait tous les champs ! À savoir l'individualisation du contenu, du nombre d'heures, par conséquent des modalités, et tout ceci selon notre préférence pour une formation à distance ou pas... Pourquoi alors en rester à ce que nous avons toujours connu ? Je crois que la crise sanitaire et l'avancée du télétravail nous incitent à vraiment repenser l'avenir des formations (les présentielles comme les non-présentielles).
Nous entrons dans un mouvement d'innovation qu'il serait sans doute vertueux de mettre en place. Et ce mouvement passe par tous ces agents convaincus de la vertu de ces formations qui ne sont plus uniquement réalisées en présentiel. Grâce à ce mixte possible entre distanciel et présentiel, les organismes et opérateurs de formations ont aussi la possibilité de prendre davantage en compte la souplesse organisationnelle et personnelle de l'agent formé. Dans les séquences asynchrones des formations à distance par exemple, l'agent est libre de lire le contenu à n'importe quelle heure qui l’arrange. Autrement dit, une facilité pour aller chercher les enfants à l'école à une heure où l'agent serait encore en formation... De plus, des études académiques ont prouvé que, par le biais des classes inversées, l'individu relit davantage un contenu que s'il n'avait été en présentiel... Cela paraît également bénéfique pour les gens en difficulté, ou qui n'ont pas assez confiance en eux et n’oseraient pas faire état de leurs hésitations devant le groupe entier. Il me paraît cependant très important de rester précautionneux sur ce domaine, car le recul est court et la connaissance académique n’est pas encore stabilisée.
Vous parait-il possible de voir émerger un nouveau modèle de formation ?
Il est un constat depuis la crise sanitaire : la part du télétravail dans l'activité de chacun a atteint des proportions jamais réalisées, et très rapidement. Évidemment, le distanciel ne remplace pas le présentiel qui reste indispensable, mais les deux, ensemble, se superposent et se conjuguent. Aujourd'hui, nous vivons des acquis qui sont dus à la contrainte du confinement, avec l'émergence, pour les formations à acquérir, d'un point de vue qui ne prenait pas toujours suffisamment en compte la singularité des situations.
Nous sommes désormais dans cette "structurance" du cahier des charges des formations mises à disposition, que la crise sanitaire nous a poussés à revoir, du moins à développer. Et il me semble que nous avons intérêt à Pôle emploi, en tant que donneurs d'ordres, mais ça concerne aussi d'autres structures décisionnelles du public et du privé, que cette ouverture d'esprit et ce nouvel acquis perdurent. Nous nous sommes aussi rassurés par ce que nous avons observé dans la capacité d’adaptation rapide des organismes de formation. Dans bien des secteurs, nous avons trouvé des solutions que nous ne pensions pas possibles avant le confinement.
Pensez-vous que le développement du télétravail va encourager la formation à distance ?
Quand on prend l'habitude de travailler ainsi, on peut sans doute envisager plus facilement de se former à distance... Ce constat découle aussi du nombre de formations à distances inscrites, par exemple, dans le catalogue de Mon compte formation par les organismes de formation durant la crise et qui a augmenté de manière exponentielle ! Globalement, nous avons constaté des réussites extrêmement significatives. Elles rappellent que les fondamentaux sont là et les acteurs mobilisés, pleins d'allant et en capacité d'adaptation, ils l'ont encore prouvé. D'où, aussi, la nécessité grandissante d'investissements et d'accompagnements par une réflexion de fond. Certes, il ne faut pas non plus négliger les impacts écologiques et économiques, congruents avec les responsabilités sociales et environnementales de l'employeur.
Quelle analyse faites-vous de la situation et de l’avenir de la formation professionnelle ?
Les agents publics comme les salariés sont de plus en plus exigeants, aussi en rapport des contreparties morales et des relations avec leur employeur.
Ils investissent davantage dans des formations ayant du sens, et les responsables RH et managériaux ont la possibilité de montrer aux agents et collaborateurs la prise en compte de leur individualité, et pas seulement dans un rapport à la performance et à l'efficacité professionnelles.
Prouver aux agents et aux salariés qu'on prend en compte ces besoins, c'est une entrée vers la clé de voûte de l'ambition. C’est là une grande chance pour les fonctions RH et managériales.