La gestion des âges de la vie dans la fonction publique - 09/05/2012
Interview de Pascal Brindeau, député de Loir-et-Cher
La gestion des âges est un enjeu majeur du management dans la fonction publique. Dans son rapport "Gestion des âges dans la Fonction publique : pour une administration moderne et efficace", remis au ministre de la Fonction publique en février 2012, le député Pascal Brindeau propose de relever ce défi via la déclinaison de sept propositions concrètes.
Vous partez du postulat que la gestion des âges de la vie est aujourd'hui un enjeu pour la fonction publique. Pourquoi ?
" La France comme de nombreux pays est confrontée au vieillissement de sa population. Cette situation a des conséquences sur l'organisation du travail et bien évidemment sur celle du secteur public. Nous avons pris un retard considérable dans la prise en compte de l'allongement naturel de la vie et ses conséquences. En France, seulement 38% des 55-64 ans sont employés quand la moyenne des pays européens est de 45%. C'est 70% de cette classe d'âge qui est encore active en Suède. Garantir le financement du système des retraites ainsi que le renouvellement des générations dans l'emploi, passe par faire de la gestion des âges de la vie au travail, une priorité. Notre secteur public n'échappe pas à cette nécessité d'autant que se pose également des enjeux de transmission des savoirs et des savoir-faire entre générations. J'ajoute que la révision générale des politiques publiques combinée à la réforme des retraites commande la mise en oeuvre d'un volet humain de cette immense réforme organisationnelle de l'Etat et de notre fonction publique. C'est la condition de son acceptation, spécialement des cadres publics qui sont en charge de sa mise en oeuvre. C'est la condition de sa réussite à terme. La gestion des âges de la vie participe à donner du sens à la réforme de l'Etat et des repères pour les agents."
Quelles pistes proposez-vous pour améliorer l'intérêt de la carrière des agents à tous les âges ?
" La notion de carrière est amenée à beaucoup évoluer. Nous passons d'un modèle linéaire à un modèle de carrière différenciée avec l'exigence pour l'administration d'offrir à l'agent une lisibilité sur ses perspectives et une obligation pour l'agent de préserver et d'optimiser son employabilité tout au long de sa vie professionnelle, ce qui passe par la formation et la valorisation des expériences. La gestion des carrières a vécu. L'enjeu pour l'ensemble des managers des trois versants de la fonction publique est la mise en place d'une gestion des emplois, des métiers et des compétences.
Il nous faut donc avoir une approche globale de toutes les questions posées. C'est la raison pour laquelle, fort du constat de la faiblesse des données statistiques et du partage de leur traitement, le rapport préconise de transformer la DGAFP en véritable "DRH groupe" avec la mise en oeuvre d'un centre de ressources partagées et l'activation du plan de GPRH. Dans le même ordre d'idée, la création d'un "espace conseil et orientation professionnelle" (ECO) au plan interministériel permettra une écoute et un accompagnement des cadres supérieurs souhaitant se reconvertir.
Un effort particulier doit également être porté sur la formation et la valorisation des acquis de l'expérience. Tel est l'objet de la mise en place pour chaque agent d'un "passeport individuel de compétences" que je préconise. Celui-ci favorisera l'activation des droits à la formation comme le DIF ou le CFP, dispositifs largement sous-utilisés. Une autre proposition forte du rapport, tirée des expériences d'ores et déjà menées dans le secteur privé et l'instauration d'un droit à entretien de mi-parcours, à 45 ans. Celui-ci réalisé avec un "référent mobilité-carrière" désigné dans chaque administration, qui n'est pas le manager direct de l'agent et qui différencie donc bien la démarche de cet entretien d'avec les entretiens individuels annuels. Cet entretien doit être entièrement dédié à l'employabilité de l'agent, sa reconversion éventuelle pour aborder la deuxième partie de sa carrière, ses besoins de formation, les perspectives d'emploi du service et de l'administration, la mobilité.
Enfin, sans tomber dans le piège d'un "plan senior" il convient d'offrir des perspectives aux agents en fin de carrière, et particulièrement aux cadres qui ont vu leurs perspectives évoluer défavorablement sous l'effet de la réforme des retraites et de la RGPP. Favoriser leur mobilité, développer le tutorat et les missions d'expertise, mais aussi instaurer un droit au "temps partiel de fin de carrière" permettant de concilier une ou plusieurs activités en prolongeant sa vie professionnelle sont autant de propositions qui entendent répondre à l'objectif d'amélioration de la fin des carrières. "
Le rapport souligne également la continuité du service public après le départ des agents et, donc, la transmission des savoirs. Quelles solutions préconisez-vous ?
"La fonction publique va connaitre un véritable choc démographique dans la prochaine décennie avec des départs à la retraite massifs de la génération des baby-boomers. L'enjeu de la transmission des savoirs et des savoir-faire est considérable. Connaitre les métiers des trois versants, les cartographier et s'appuyer sur une démarche prévisionnelle plutôt que de subir les évolutions démographiques est un préalable. En outre, la gestion managériale intergénérationelle devra s'attacher à l'échange des savoirs et des expériences. En cela, le tutorat est un instrument indispensable même s'il n'est pas le seul et doit être conçu comme un échange réciproque. Nous devons également tordre le coup aux représentations négatives liées à l'âge et à la supposée moindre adaptabilité des senior aux nouvelles techniques et technologies. Lutter contre la discrimination par l'âge, c'est aussi préparer notre fonction publique au choc démographique."
Vous constatez que l'ouverture trop rapide des emplois de haut niveau à des jeunes cadres complique les parcours de ces agents qui peuvent dès lors être attirés par le privé. Que proposez-vous pour remédier à cette situation ?
"Cette situation est une conséquence directe de ce que je viens d'évoquer, à savoir la discrimination par l'âge : un senior "coûte cher, est moins productif et moins adaptable aux évolutions." Tel est, de l'aveu même de la plupart des managers et responsables RH du secteur public la représentation majoritairement négative qui prévaut. Véritable fait culturel, elle explique qu'à compétences et diplômes égaux, le jeune est privilégié dans le recrutement. La conséquence en est des évolutions de carrières accélérées pour les entrants et des situations de blocage voire de placardisation pour les seniors. Cette situation est particulièrement prégnante dans les emplois de haut niveau. Les campagnes de sensibilisation, le travail sur l'évolution des techniques managériales qui sont des préconisations pouvant apparaître comme purement techniques ont en réalité une importance toute particulière dans la prise de conscience générale que j'appelle de mes voeux."
Que proposez-vous pour valoriser l'expérience et l'expertise dans un système de fonction publique de carrière ?
"De nombreuses expérimentations sont déjà à l'oeuvre dans les ministères et les différentes fonctions publiques, corps d'expertises, missions etc. Profitons de celles-ci pour les partager et les développer. L'arsenal juridique actuel n'est pas un obstacle à des passerelles entre secteur public et secteur privé : de nombreuses PME pourraient profiter de l'expertise de hauts fonctionnaires et de cadres : il nous faut faciliter notamment dans le cadre des fins de carrières les mises à dispositions, les missions. Des pays européens comme l'Allemagne peuvent nous inspirer utilement dans ce domaine."