Interview de Jean-Paul Delevoye, président du conseil économique, social et environnemental - 15/03/2012
Interview
- Votre assemblée travaille depuis le printemps 2011 sur un bilan des dispositifs pour développer l'égalité professionnelle hommes/femmes et veiller à la non discrimination au travail. A ce stade, quel bilan fait le CESE de l'application dans la Fonction publique ? Quels progrès restent à accomplir ?
L’étude réalisée par Sylvie Brunet et Maryse Dumas de la délégation des droits des femmes et à l’égalité a été présentée en séance plénière et à la presse il y a quelques jours à peine. Cette étude vise à faire le bilan de l’application des dispositifs promouvant l’égalité professionnelle entre femmes et hommes et n’exclut pas évidemment d’examiner la situation dans la fonction publique. Les chiffres sont assez significatifs de certaines carences malgré les chartes de 2004 et 2008 :
En termes de rémunération, malgré l’égalité statutaire propre à la fonction publique, l’écart en 2008 dans la fonction publique d’état était de 17 % !
L’inégalité la plus criante demeure dans la sous représentation des postes d’encadrement et de direction malgré une féminisation importante des emplois dans les 3 fonctions publiques.
Seules 10% des préfets sont des femmes (dans la fonction publique d’état). Moins d’un directeur général des services sur dix est une femme (dans la territoriale) et aucune ne l’est pour une commune de plus de 80 000 habitants ou d’une interco de plus de 300 000 habitants. 53% des directeurs d’établissements sanitaires et sociaux sont des femmes mais seulement 16% dirigent des hôpitaux et 4 dirigent des CHU (sur les 32 existants).
Point positif la présence de femmes dans les jurys et dans les organismes consultatifs – comme le CESE d’ailleurs – avoisine la parité et ce en raison de contraintes réglementaires.
- Quelle place accordez-vous au sein du CESE aux questions relatives à la fonction publique ?
Nous abordons les questions propres à la fonction publique sous deux angles : le premier consiste à examiner l’Etat comme employeur au même titre que le secteur privé. Ainsi par exemple de l’étude réalisée par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité qui interroge spécifiquement le degré de réalisation des objectifs affichés par les chartes et textes régissant les conditions de travail dans le privé comme dans le public. Le prochain avis sur l’emploi des jeunes posera probablement la question de l’intégration de la nouvelle génération dans la fonction publique également. Le deuxième angle consiste à examiner les missions de l’état et à étudier les moyens qu’il affecte à cet effet, dont la question des moyens humains. C’est ainsi que le CESE a rendu récemment un avis évaluant la fusion ayant donné lieu à Pôle Emploi (avis de M. Jamme) et un autre sur l’organisation de l’Etat dans les territoires (avis de Mme Doneddu) où la problématique RH découle naturellement des priorités stratégiques déterminées. De manière générale, l’accent est mis sur l’accompagnement humain nécessaire à un nouveau mode de travail pour les administrations davantage tourné vers la coopération, le réseau, le rapprochement entre les structures.
- Que pensez-vous de la notion de développement durable dans sa dimension "responsabilité sociale" de l'Etat envers les fonctionnaires ?
L’état ne peut s’exempter des vertus qu’il souhaite voir appliquer aux entreprises et se doit par transparence et pour préserver son crédit de se montrer exemplaire en la matière. La gestion des carrières, des potentiels, de la mobilité pour une véritable politique de ressources humaines dans la fonction publique est un enjeu majeur. Il est vrai que dans la fonction publique on observe encore parfois une tendance à considérer que son titre ou son statut assure de fait une supériorité sur ses collaborateurs ou sur les citoyens au service desquels on travaille. Ou à cacher une réalité parfois difficile ou déplaisante en déployant le parapluie de peur de provoquer la colère de sa hiérarchie … ce que renforce hélas la culture du chiffre qui est pratiquée aux dépens d’une culture de l’objectif et du résultat, capable de réfléchir sur sa méthode et ses missions et de s’amender en conséquence. Je crois qu’il faut renforcer la prise de risque et l’innovation dans la fonction publique, en sanctionnant lourdement les fautes mais en tolérant l’erreur et en osant tenter des expériences nouvelles.
C’est un problème de confiance et de méthode de travail, pas de soumission et d’autorité !
- Quelle est votre position quant au développement du télétravail en particulier dans la fonction publique ?
Je suis favorable à ces nouvelles formes de travail qui suivent les évolutions technologiques et sociologiques de notre société. A ma connaissance le frein au développement du télétravail, dans la fonction publique comme ailleurs, n’est pas d’ordre technologique car cela est aujourd’hui relativement facile. Il est davantage d’ordre managérial car il est difficile pour un employeur ou un cadre de savoir ses équipes sans « surveillance directe » et donc susceptibles de faire autre chose que travailler. Soyons toutefois attentifs à ce que les nouvelles technologies rendent possible ce qui n’est pas nécessairement souhaitable et peuvent tendre à abolir une frontière entre vie privée et vie professionnelle déjà poreuse. Je prends l’exemple des smartphones chez les cadres qui permettent aux uns et aux autres de travailler ou simplement « veiller » tard le soir ou tôt le matin ; nos organisations du travail actuellement sont hélas peu habituées à intégrer dans leur réflexion la question du temps de décompression et du temps d’écoute, focalisées sur une vision restreinte – et culpabilisatrice- du temps productif et du temps improductif. En extrapolant, on peut considérer que la télémédecine offre aujourd’hui pour la plupart des chirurgiens d’opérer à distance ce qui est manifestement un progrès immense ; mais quid du temps d’écoute et de la relation de confiance établie entre le médecin et le patient ? Quand on sait qu’actuellement la T2A ne calcule le temps de travail du médecin qu’en fonction de son temps d’utilisation du bloc opératoire ?
- Le CESE fait-il du benchmarck européen et international sur les sujets relatifs aux ressources humaines dans la fonction publique ?
Sur ce sujet comme sur d’autres, la volonté du CESE est de nouer des partenariats pour enrichir son expertise. Notamment en sortant d’un nombrilisme franco-français pour regarder ce qui fonctionne mieux ou moins bien à l’étranger. Nous sommes d’ailleurs en relation étroite avec l’OCDE à cette fin. J’ai également souhaité à mon arrivée à la présidence du CESE redynamiser nos réseaux internationaux de Conseils économiques, sociaux, environnementaux afin de développer ces échanges d’expérience. Nos priorités se situent aujourd’hui aux niveaux des zones européennes, méditerranéennes, francophones.