Interview de Bernard Boucault, directeur de l'Éna - 03/11/2011
Interview pour Trajectoires
1. Quels sont les objectifs de la future réforme des concours de l’Éna, quel est le calendrier ?
Les concours d’entrée ont pour objet de recruter des candidats dont les connaissances, compétences et aptitudes sont celles identifiées comme nécessaires aux cadres supérieurs et dirigeants de l’État, tout en assurant le caractère démocratique du recrutement prévu par l’ordonnance du 9 octobre 1945 créant l’Éna.
En application du contrat d’objectifs et de performance signé le 1er mars 2010 avec sa tutelle, l’École a engagé une réflexion dans le cadre d’un groupe de travail constitué de hauts fonctionnaires et d’experts en recrutement et gestion des ressources humaines avec deux objectifs : moderniser le concours d’entrée et conduire une politique de sélection refondue et dynamisée au service de la diversité.
Le groupe de travail qui a recueilli les avis d’un grand nombre de personnalités a retenu quatre orientations assorties de propositions concrètes :
- diminuer les biais sociaux dans les épreuves des concours par une meilleure définition des objectifs des épreuves, des grilles d’évaluation des jurys, et un nouvel équilibre des différents types d’épreuves ;
- mettre en adéquation les épreuves et les programmes avec les connaissances, compétences et aptitudes nécessaires aux cadres supérieurs et dirigeants de l’État ;
- centrer les épreuves d’admissibilité sur les connaissances ainsi que les savoir-faire techniques et les épreuves d’admission sur les aptitudes à l’emploi ;
- mieux prendre en compte les différences de parcours en différenciant davantage les épreuves des trois concours et en permettant aux candidats de mieux valoriser leurs expériences antérieures.
Ce rapport a été remis aux autorités de tutelle de l’École au début du mois de juillet.
Le calendrier proposé dans le rapport prévoit une application des décisions qui seront prises aux concours se déroulant en 2013 afin de laisser le temps nécessaire aux centres de préparation de s’adapter à ces nouvelles règles.
2. Une commission a été créée en 2011 pour assurer un suivi de la procédure de sortie. Quelle est précisément sa mission ?
La procédure d’affectation des élèves s’appuie encore aujourd’hui sur l’existence d’un classement de sortie. Toutefois, si les élèves choisissent leur corps et/ou leur ministère dans l’ordre de leur classement, leur affectation sur un emploi résulte d’une décision de l’employeur.
Afin de permettre une bonne adaptation des profils des élèves aux caractéristiques des postes offerts, des entretiens entre les élèves qui le demandent et les employeurs sont organisés en respectant quelques règles fixées par une circulaire du directeur général de l’administration et de la fonction publique pour assurer l’équité, la transparence et l’efficacité de cette procédure d’affectation.
Afin d’assurer le bon fonctionnement du dispositif, un arrêté du ministre chargé de la fonction publique a créé une commission dite de suivi de la procédure d’affectation des élèves. Présidée par Jean-Pierre Jouyet, inspecteur général des Finances, président de l’autorité des marchés financiers, et composée de hauts fonctionnaires et de spécialistes du recrutement de cadres supérieurs et dirigeants, cette commission peut être saisie par tout élève rencontrant des difficultés dans ses contacts avec les employeurs ou souhaitant obtenir des conseils sur ses choix d’affectation. Elle peut également être saisie par les employeurs, notamment en cas de difficultés à pourvoir les postes proposés. Après le choix par les élèves, elle remet un rapport au directeur de l’École sur le déroulement de la procédure d’affectation et les améliorations possibles.
Cette commission préfigure celle qu’il est prévu de créer, avec des compétences plus larges, notamment celle de faire les propositions d’affectation au ministre de la fonction publique, dans le cadre de la réforme de la procédure d’affectation des élèves (suppression du classement de sortie).
3. Quel bilan peut-on faire des CPI ?
Cette expérience des CPI, s’agissant de l’Éna, doit s’inscrire dans la durée pour atteindre ses objectifs. Il faut rappeler que le premier critère de réussite au concours externe d’entrée à l’Éna, est de l’avoir passé au moins une fois, ce qui a encore été le cas de 52,5 % des lauréats du concours externe en 2010.
Le bilan que nous pouvons établir à partir des deux premières classes préparatoires est déjà positif.
Les étudiants, qui doivent être boursiers, sélectionnés sur la base de leur motivation et de leurs résultats universitaires ont bénéficié d’une préparation très adaptée à leurs besoins et d’un tutorat assuré par les élèves des promotions en scolarité. Il faut souligner l’engagement très fort de tous ceux qui les ont accompagnés dans leur trvail.
Plus de la moitié de la première classe composée de 14 étudiants (rappelons que les places ouvertes au concours externe sont de 40) ont été admissibles à des concours de catégorie A+, dont une au concours de l’Éna. Deux ont été admis à des concours de catégorie A+ (Banque de France, EN3SS), cinq à un concours de catégorie A, trois sont en situation professionnelle, un a été admis au Master d’HEC, trois ont suivi une nouvelle préparation à la CPI de l’Éna.
Au sein de la deuxième classe préparatoire entrée en octobre 2010, avant même de connaître le résultat de l’Éna, les résultats sont déjà très encourageants puisque sur les douze nouveaux étudiants, trois ont déjà une admission à un concours de catégorie A+ ou A et les cinq étudiants qui se sont présentés au concours de l’EN3S sont tous admissibles.
4. La place des femmes dans la fonction publique
La féminisation accrue à l’école se mesure depuis une décennie au travers de trois dimensions qui concernent aussi bien la formation initiale, la formation continue que l’encadrement travaillant au sein de l’établissement.
À l’aune des lauréates du concours, on peut rappeler qu’après avoir commencé timidement et s’être situé à 10% des reçus dans les années 60, le taux de féminisation des promotions a stagné à 20 % tout au long des années 70 et 80. Depuis les années 2000, il s’établit systématiquement au dessus du tiers et a même déjà été supérieur à 40 %. Cette nette progression peut être sans doute rapprochée de la parité recherchée dans la composition des jurys. Ainsi, depuis maintenant plusieurs années, la présidence est assurée par alternance par un homme et une femme.
Une bonne représentation féminine (supérieure à 40 %) est également en voie d’être atteinte dans la plupart des jurys d’évaluation en cours de scolarité. La composition de la commission de suivi des affectations des élèves, en place depuis 2009, est quant à elle strictement paritaire.
La présence des femmes dans les vingt premières places du classement de sortie est aussi un élément remarquable qu’il convient de souligner. En 2010 par exemple, sur les 10 premiers, il y avait 5 femmes ce qui accréditerait la thèse que passé le concours, elles poursuivraient avec davantage de succès que leurs camarades masculins, à l’image des observations statistiques au sein du système secondaire.
De plus, le fait d’être chargée de famille ne réduirait pas les chances de succès.
En amont de ce processus et à l’occasion de l’ouverture d’une classe préparatoire au concours externe de l’Éna en 2009, on a pu constater que lors des 3 premières sélections des étudiants on a retrouvé le même taux de 73 % de jeunes filles.
Au sein de la formation continue, les administratrices civiles issues de la sélection au tour extérieur sont quasiment aussi nombreuses que leurs collègues masculins depuis les 5 dernières années. Elles ont même dépassé la barre des 50 % à deux reprises en 2007 et 2008.
Ce constat est d’autant plus favorable que le nombre d’inscrites à cette sélection est à peine supérieur à 40 %.
Au sein des cycles étrangers, on observe également une présence féminine en augmentation. Un cycle a par ailleurs été spécialement ouvert en 2010 à des femmes entrepreneures africaines et a rencontré un vif succès tant au niveau de la sélection qu’au niveau de l’implication des participantes.
Dans le cadre de leurs activités de recherche, l’Éna et le Cepivof vont par ailleurs engager à compter du 3 octobre prochain un séminaire de 9 séances consacré à l’histoire des femmes dans les élites administratives.
Il est rappelé qu’en 2001 et 2002, l’école a été dirigée par une directrice, conseiller d’État. Mais au delà de cette mention il est à signaler que l’équipe de direction comporte plusieurs femmes. Il est intéressant de relever qu’une stricte parité est parfaitement respectée à la direction de la formation qui compte 2 femmes parmi les 4 directeurs et directeurs- adjoints..
5. La question du profil des candidats au concours de l’Éna, lors des jurys a fait beaucoup parler ces derniers temps. Quel est votre point de vue ?
La présidente des jurys des concours 2010 a eu l’occasion de s’exprimer sur les commentaires qui ont pu être faits sur son rapport, indiquant que les candidats admis l’avaient été précisément parce qu’ils n’encouraient pas les reproches faits par ailleurs à d’autres candidats.
Pour nous qui vivons avec les élèves, ce qui caractérise une promotion c’est d’abord la diversité, diversité des formations (IEP, Universités, Écoles de gestion, Écoles d’ingénieur), diversité des expériences professionnelles (fonctionnaires des trois fonctions publiques, contractuels, cadres d’entreprises dans les secteurs commercial, industriel, financier, du conseil), diversité géographique (près des 2/3 des élèves ont passé un baccalauréat en province), diversité des personnalités.
C’est aussi leur engagement commun pour le service de l’État, de la collectivité, avec l’adhésion aux valeurs qu’il implique, un choix positif qui a mûri au cour de leurs études et de leurs expériences professionnelles, qui s’accompagne parfois d’un engagement associatif déjà affirmé. C’est encore leur curiosité intellectuelle, leur ouverture sur l’Europe et sur le monde dont ils ont déjà une expérience personnelle par des séjours d’études ou de travail. C’est enfin leur goût de l’action, leur volonté d’agir sur le cours des choses pour répondre aux enjeux du monde et aux besoins de la société.