La rationalisation des sites internet de l'État - 03/08/2011
Interview de Franck Riester, pilote du groupe d’experts du numérique chargé du programme de simplification des démarches administratives.
Dans quel contexte le gouvernement vous a-t-il confié cette mission et comment avez-vous constitué votre groupe d’experts ?
Depuis plus d’une décennie, l’administration est engagée dans un vaste mouvement de dématérialisation des démarches administratives. C’est une des conditions pour bâtir une administration moderne et innovante au service des usagers. Des résultats significatifs avaient déjà été obtenus ; je pense notamment à la dématérialisation de la quasi-totalité des certificats administratifs (CERFA). C’est également le cas pour la télé-déclaration de l’impôt sur le revenu, qui séduit chaque année de plus en plus de Français. Le site mon-service public connaît aussi depuis son lancement un succès croissant. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, le Gouvernement a souhaité prolonger et élargir ce travail d’écoute, déjà engagé avec les usagers et leurs représentants au sein du programme « Ensemble simplifions ». C’est dans ce contexte qu’Éric Woerth (ministre en charge de la réforme de l’Etat) et Nathalie Kosciusko-Morizet (secrétaire d’État en charge de l’économie numérique) m’ont chargé de piloter un groupe de travail, composé de sept experts issus des secteurs public et privé et sélectionnés par les ministres pour les compétences qu’ils ont développé en matière de relation numérique avec leurs clients ou usagers dans les fonctions qui sont les leurs. Cette démarche, originale et novatrice pour l’administration, a véritablement constitué la force de cette mission.
Un an après, quel bilan en tirez-vous ?
Le 31 mars dernier, j’ai eu l’occasion de réunir le groupe de travail des experts du numérique afin de dresser un bilan d’étape de la mise en oeuvre des mesures préconisées au sein de notre rapport sur l’amélioration de la relation numérique à l’usager.
Je me félicite une nouvelle fois que les trois grandes priorités identifiées, fournir un accès lisible, simple et cohérent pour les services en ligne de l’administration, offrir davantage de services personnalisés et donner la parole aux usagers afin d’améliorer le service public et d’innover, participent désormais de la stratégie numérique de l’Etat.
L’administration numérique prend véritablement une nouvelle dimension. Des avancées concrètes sont désormais effectives depuis la remise de notre rapport il y un an. Ainsi, par exemple, la rationalisation de la présence de l’Etat sur Internet s’est traduite par le regroupement ou le fermeture de 128 sites internet publics en 2010 ; autre exemple, la création, par décret du Premier ministre, d’une mission « Etalab » chargée de créer un portail unique de réutilisation des informations publiques, visant à développer une véritable politique d’ouverture des données publiques.
Par ailleurs, notre groupe de travail a unanimement accepté la proposition de François Baroin, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, de poursuivre notre travail en faveur de l’amélioration de la relation numérique à l’usager. Je me réjouis de cette confiance renouvelée par le ministre, qui témoigne de l’ambition du Gouvernement en faveur d’une administration numérique qui soit au plus près des attentes de ses usagers.
La poursuite de nos travaux nous invite à prendre en compte les évolutions observées chez nos voisins européens. L’impact des réseaux sociaux dans la sphère internet devra notamment être au coeur de nos axes de travail. Cette nouvelle phase de nos travaux poursuit le même objectif que notre premier rapport : continuer à proposer aux usagers une offre renforcée de services en ligne, afin de faire notre pays le leader européen de l’administration numérique.
L’une des propositions les plus "audacieuses" est la division par dix des sites de l’Etat et la dématérialisation totale des démarches pour l’usager, est-ce réaliste et faisable ?
Nous avons effectivement été frappés par le foisonnement du nombre de sites publics sur internet : on en dénombre plus de 10 000 ! Rien que pour l’État, ce sont près de 1000 sites officiels, qui parfois sont redondants en terme de contenus, mal identifiés et qui de plus, sont bien souvent très mal référencés. Un véritable effort de rationalisation s’imposait donc. La réduction effective à une quarantaine de sites est aujourd’hui bien engagée et devrait être effective d’ici fin 2012. Concernant la dématérialisation totale des démarches au bénéfice de l’usager, il ne s’agit pas nécessairement de substituer l’offre physique proposée à un guichet par une offre dématérialisée. Notre objectif vise à améliorer l’offre en ligne existante pour que l’usager puisse bénéficier d’une offre de service public optimale et complémentaire. Dans un premier temps, toutes les démarches réalisables à distance, par courrier par exemple, doivent pouvoir l’être également par Internet. Sur ce point aussi, les choses progressent et de nouvelles démarches en ligne seront bientôt possibles. Une nouvelle phase de mise en oeuvre sera annoncée dans le courant du mois de février.
La mise en oeuvre de ces mesures suscite une "petite révolution" dans les ministères ; quel est votre regard de parlementaire sur les conséquences (RH, logistiques, organisationnelles) de votre proposition ?
Les propositions qui ont été formulées par le groupe de travail visent d’abord à améliorer les relations de l’administration avec les usagers, démarche qui a déjà été annoncée par plusieurs de nos partenaires européens comme la Grande-Bretagne ou encore par l’Italie, mais aussi à valoriser les services délivrés par l’administration en améliorant leur visibilité, leur référencement et in fine leur usage par les citoyens. L’enjeu, c’est avant tout de faire du numérique un allié de l’administration, qui doit justement nous permettre de proposer une offre de service public moderne et performante, répondant le mieux possible aux attentes des usagers. Si je devais présenter la vertu de ces propositions, je parlerai de décloisonnement et de complémentarité des services des administrations au profit des citoyens. Il ne s’agit donc pas de révolution, mais d’évolution des services de l’administration utilisant au mieux les technologies de l’information. En outre, il me semble tout aussi essentiel d’accompagner ces transformations par une politique active de formation des agents, pour qu’ils puissent non seulement accompagner au mieux les changements mais aussi développer de nouvelles compétences.
Comment faire converger les demandes des ministres, notamment de création de site, avec les préconisations de votre rapport, les deux n’étant pas toujours compatibles ?
C’est effectivement un des défis auquel notre groupe de travail a été confronté dans son souci de rationalisation de la présence de l’État sur Internet. Par exemple, concernant le nombre de sites internet de l’État, trop souvent les ministères, pour chaque volet de leur politique, créent un site Internet dédié. L’objectif est bien évidemment compréhensible, mais cela débouche finalement sur une variété de sites et de dénominations qui coexistent sans cohérence et qui ne clarifient pas les politiques publiques engagées. Sur ce point précis, tout l’objectif consiste donc à être plus rigoureux dans la gestion des demandes des ministères en renforçant davantage le pouvoir du Service d’information du Gouvernement (SIG), rattaché au Premier ministre, qui délivrera les autorisations en la matière. Comme dans le monde physique, cette ambition numérique s’inscrit dans une volonté de rationalisation de l’État.
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