Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) - 25/09/2014
Entretien avec Laurent Crusson, sous-directeur des rémunérations, de la protection sociale et des conditions de travail à la DGAFP (1)
Le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d’un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel a été publié au Journal Officiel du 22 mai 2014. Encore un nouveau texte indemnitaire. Dans quel but ?
A l’automne 2012, Marylise Lebranchu a engagé une vaste concertation avec les organisations syndicales représentatives. Les discussions qui se sont tenues dans le cadre de l’Agenda social avaient pour objectif de déterminer les chantiers à ouvrir afin de restaurer les perspectives de carrière des agents publics et ce, en partant d’un bilan de la politique de rémunération dans toutes ses composantes : évolution des grilles indiciaires, place et nature des primes et indemnités, politique de promotion des corps et grades, etc.
Ces échanges nourris ont convaincu la ministre d’une réorientation nécessaire de la politique indemnitaire par trop axée sur le développement de la rémunération à la performance et de l'intéressement aux résultats. Elle a donc annoncé l’élaboration d’un nouveau « système de primes fondé sur des critères reconnaissant l’engagement des personnels ».
L’élaboration du décret du 20 mai 2014 s’inscrit donc dans ce contexte.
Une prime de plus en somme : voilà qui ne va pas simplifier le paysage indemnitaire de la fonction publique !
Au contraire ! La création et la mise en œuvre effective de ce dispositif donne une nouvelle impulsion au mouvement de rationalisation initié ces quinze dernières années.
La prime de fonctions et de résultats (PFR) s’inscrivait déjà dans ce cadre. Toutefois, elle a souffert de plusieurs maux au fil de son déploiement.
Tout d’abord, elle n’est jamais sortie du seul champ de la filière administrative. L’objectif d’un dispositif indemnitaire de référence transversal n’a donc pas été atteint.
Ensuite, la cohérence interministérielle a été mise à mal par des dérogations et l’existence de pratiques de gestion très hétérogènes.
Enfin, et surtout, la structure même de cette prime posait problème. En effet, la part liée à l’atteinte des résultats a été considérée comme trop importante. A ce titre, elle a généré de nombreuses incompréhensions.
Le RIFSEEP a donc vocation à se substituer à la PFR. Il doit favoriser l’émergence d’un cadre de gestion unifié, étape nécessaire dans le long chemin vers la rationalisation de notre paysage indemnitaire encore bien touffu.
Dès lors, son déploiement doit répondre à quatre exigences majeures : un pilotage interministériel renforcé ; la reconnaissance de la variété des parcours professionnels et des acquis de l’expérience ; une valorisation de l’engagement professionnel de chaque agent ; enfin, un suivi régulier associant étroitement, sur la base de bilans, les organisations syndicales représentatives.
Le RIFSEEP n’est en rien une « PFR bis ». Les deux dispositifs diffèrent dans l’esprit comme dans la lettre. La PFR reposait sur un système de cotation de postes très – trop – fin et tendait à mesurer la performance d’un agent via l’appréciation de ses résultats individuels. Le RIFSEEP, quant à lui, ne cherche pas l’individualisation. Reposant sur une architecture fonctionnelle simplifiée, via un nombre limité de groupes de fonctions, il va indéniablement favoriser les mobilités et permettre une harmonisation des situations indemnitaires, jusqu’alors assez disparates, des agents exerçant des missions comparables. Pour autant, un dispositif de reconnaissance de la manière de servir des personnels est conservé. Il dépasse cependant la seule mesure d’une éventuelle « performance » pour mettre en avant les valeurs qui guident la fonction publique.
Plus concrètement, le RIFSEEP est applicable à tous les corps et emplois de la fonction publique de l’Etat. Toutes les catégories statutaires (A, B, C) et toutes les filières sont concernées, et nous touchons là le cœur de la réforme. L’objectif, je le rappelle, est bien d’unifier et de simplifier le paysage indemnitaire de la fonction publique de l’Etat - le RIFSEEP ayant vocation à être étendu aux deux autres versants.
Des exceptions à cette généralisation seront certes possibles mais, en tout état de cause, nous veillerons à ce qu’elles restent rares et justifiées par des spécificités statutaires et indemnitaires avérées. En outre, par souci de transparence, ces exceptions seront listées de manière exhaustive dans un arrêté interministériel tandis que chaque département ministériel devra élaborer d’un schéma stratégique d’adhésion fixant les dates prévisionnelles d’adhésion des corps et emplois ayant vocation à intégrer le nouveau dispositif.
Dans la même logique, le RIFSEEP est exclusif, par principe, de toutes les primes et indemnités de même nature, que celles-ci soient interministérielles (indemnité d’administration et de technicité, indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires, prime de rendement etc.) ou ministérielles (indemnité d’exercice de missions des préfectures ou allocation complémentaire de fonctions par exemple). Les exceptions à cette règle de non-cumul, fixées par arrêté interministériel, seront limitées et devront répondre à des problématiques très spécifiques. Là aussi, nous serons très vigilants.
Mais dans tous les changements, il y a des gagnants et des perdants, non ?
La création d’un nouveau dispositif indemnitaire crée toujours des peurs et des incertitudes. Nous aurons donc à faire preuve de pédagogie en direction des agents, mais également des administrations gestionnaires et de l’ensemble des acteurs du processus RH.
En ce qui concerne les agents, le décret du 20 mai 2014 prévoit deux garanties fondamentales : un montant minimal de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) fixé par grade et le maintien du niveau indemnitaire qu’ils percevaient mensuellement avant le déploiement du RIFSEEP. Il n’y aura donc pas de perte de rémunération au moment de la bascule dans le nouveau dispositif.
Par ailleurs, je ne vous cache pas que nos partenaires ministériels, administrations gestionnaires, nous ont poussés à faire preuve de pragmatisme. La PFR avait nécessité, de leur part, un important investissement, tant humain que financier. Ils ont ainsi su mener à bien une réflexion sur les parcours professionnels des agents à laquelle ont été associés les directions métiers et les représentants du personnel. Ces efforts pourront être réinvestis lors du déploiement effectif du dispositif, notamment pour la répartition des fonctions-types au sein des différents groupes.
Enfin, les garanties collectives sont renforcées. Les instances consultatives compétentes seront systématiquement consultées sur toute nouvelle adhésion. Tel fut notamment le cas du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat pour les corps interministériels des attachés d’administration, des assistants de service social et des conseillers techniques de service social. Plus généralement, les comités techniques compétents seront associés au suivi de la mise en œuvre du nouveau régime indemnitaire. Celui-ci devra donc faire l’objet d’un dialogue social nourri au sein de chaque ministère.
Pourront ainsi être présentés, dans ce cadre, les marges de rémunération réellement utilisées pour chaque groupe de fonctions, un bilan au regard des modalités de répartition des postes entre les différents groupes de fonctions, les montants alloués au titre de l’IFSE comme du complément annuel ou bien encore les situations au regard du principe de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
On aurait pu trouver plus simple que « RIFSEEP » ! D’ailleurs, pourquoi parler de « régime indemnitaire » ? Y aurait-il plusieurs primes ?
Effectivement, le RIFSEEP est composé de deux primes : d’une part, une indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE), d’autre part, un complément indemnitaire annuel (CIA). Celles-ci sont bien évidemment cumulatives mais diffèrent dans leurs modalités de versement : l’IFSE est l’indemnité principale ; elle sera versée mensuellement. Le complément indemnitaire sera, quant à lui, versé en une ou deux fractions annuelles. En outre, son caractère facultatif doit être souligné. Il s’agit là d’une souplesse supplémentaire qui permet à ce nouveau dispositif de s’adapter aux spécificités statutaires des différents corps et emplois.
Dans la mesure où le RIFSEEP a vocation à devenir l’instrument indemnitaire de référence devant se substituer à la plupart des dispositifs existants, cette structuration en deux éléments était souhaitable. Au sein de la fonction publique, les primes et indemnités ont, en effet, pour objet la valorisation de l’exercice des fonctions et la compensation de responsabilités particulières ou de certaines sujétions. Le nouveau dispositif indemnitaire s’inscrit parfaitement dans cette logique avec l’IFSE comme indemnité principale. Toutefois, il n’était pas souhaitable, pour l’administration comme pour les agents, de s’affranchir complètement de dispositions permettant de reconnaître l’engagement professionnel et la manière de servir des agents. La possibilité de verser un complément indemnitaire répond à cet objectif.
Plus concrètement, le RIFSEEP tend à reconnaître principalement l’exercice des fonctions. Tel est l’objet de l’IFSE. Celle-ci repose sur une formalisation précise de critères professionnels permettant la répartition des postes au sein de différents groupes de fonctions.
Le groupe de fonctions constitue la donnée de référence du nouveau dispositif indemnitaire, permettant notamment de déterminer le plafond de l’IFSE et du complément indemnitaire annuel applicable à l’agent.
Par ailleurs, les trois critères professionnels à prendre en compte (encadrement, technicité, exposition) sont listés de manière exhaustive à l’article 2 du décret du 20 mai 2014. La hiérarchisation des groupes de fonctions ainsi que la répartition des postes au sein de ces groupes seront établies, par les employeurs, au regard de ces différents critères et coordonnées en interministériel.
En outre, afin de moduler le montant de l’IFSE, il pourra être tenu compte de l’expérience professionnelle acquise par l’agent. Celle-ci repose notamment sur un approfondissement des savoir-faire et la consolidation des connaissances pratiques. Ainsi, le montant de l’IFSE pourra faire l’objet d’un réexamen non seulement en cas de changement de groupe de fonctions, mais également en cas de mobilité au sein du même groupe de fonctions. A minima, il sera réexaminé tous les 4 ans, en l’absence de changement de fonctions.
Plus concrètement, il ne s’agit pas de favoriser la concurrence entre les agents mais bien de valoriser l’engagement professionnel et la manière de servir. L’appréciation de cette dernière pourra se fonder sur l’entretien professionnel. Dès lors, il pourra être tenu compte de la réalisation d’objectifs quantitatifs et qualitatifs et ce, principalement pour les agents relevant de la catégorie A.
Plus généralement, seront appréciés la valeur professionnelle de l’agent, son investissement personnel dans l’exercice de ses fonctions, son sens du service public, sa capacité à travailler en équipe et sa contribution au collectif de travail.
La détermination, facultative, du montant de ce complément indemnitaire est, enfin, assez simple, les attributions individuelles étant comprises entre 0 et 100% d’un montant maximal fixé par groupe de fonctions.
Et tout cela c’est pour quand ?
Afin de ne pas répéter les erreurs liées au déploiement de la PFR, le volontarisme est de mise. Ainsi, bien que le décret du 20 mai 2014 prévoie un mécanisme d’adhésion au fil de l’eau, deux dates butoirs ont été fixées.
La première au 1er juillet 2015. Devront bénéficier du RIFSEEP, au plus tard à cette date, les corps d’adjoints administratifs, les corps de secrétaires administratifs, les corps interministériels des attachés d’administration, de conseillers techniques de service social et d’assistants de service social ainsi que les corps et emplois bénéficiant actuellement de la PFR régie par le décret du 22 décembre 2008. Ce sont donc plusieurs milliers d’agents qui sont concernés.
La seconde, au 1er janvier 2017. A cette date, l’ensemble des corps et emplois de la fonction publique de l’Etat ayant vocation à intégrer ce dispositif devra effectivement l’avoir fait.
Les schémas stratégiques d’adhésion ministériels offriront les supports adéquats pour déterminer l’échelonnement des différentes vagues d’adhésion, tout en laissant aux ministères gestionnaires une large autonomie pour anticiper et s’organiser. Des populations prioritaires pourront ainsi être ciblées, notamment les agents relevant de la catégorie C ou les corps et emplois pour lesquels une refonte du régime indemnitaire s’avère nécessaire.
J’ajoute qu’afin de sécuriser le déploiement du nouveau dispositif, les équipes de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) seront totalement mobilisées pour accompagner les administrations gestionnaires : circulaire prévue à l’automne, supports pédagogiques, foire aux questions mais également poursuite des groupes de travail thématiques et des rencontres bilatérales pour un accompagnement au plus près des spécificités de chaque département ministériel.
(1) DGAFP : Direction générale de l'administration et de la fonction publique
Interview pour Trajectoires n° 33 - septembre 2014