Allocution prononcée à l'occasion du début de la discussion du projet de loi sur la réforme des retraites au Sénat le 5 octobre. - 05/10/2010
Allocution prononcée à l'occasion du début de la discussion du projet de loi sur la réforme des retraites au Sénat le 5 octobre.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Madame la Présidente de la Commission des Affaires sociales,
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur le Rapporteur pour avis,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi que j’ai l’honneur de soumettre à votre examen aujourd’hui est le fruit d’un débat comme jamais il n’y en a eu sur les retraites. Il est issu d’un travail de concertation intense, d’échanges et de débats approfondis depuis six mois avec les partenaires sociaux, les partis politiques, les acteurs du monde du travail, les représentants d’associations et les parlementaires de la majorité et de l’opposition, autour d’un même objectif : assurer l’avenir de notre système de retraite par répartition.
Aujourd’hui nous entrons dans la phase ultime de ce débat. Ce débat va se tenir pendant quinze jours, trois semaines s’il le faut. Nous prendrons le temps nécessaire, le Gouvernement y est prêt.
Bien entendu, une réforme de cette ampleur suscite nécessairement des inquiétudes. Ces inquiétudes, le Gouvernement les entend, les respecte et les prend en compte.
L’examen du texte à l’Assemblé nationale a permis d’enrichir cette réforme sur de nombreux points. Le cœur de ces avancées portait sur la pénibilité. C’est un progrès considérable. L’enjeu au Sénat dans les semaines qui viennent, c’est sans doute de progresser vers davantage de justice, dans le respect de l’équilibre du texte.
Mais pour avancer, pour répondre aux inquiétudes des Français, il faut poser les bonnes questions, il ne faut pas céder à la caricature. C’est ce que nous devons faire ensemble à l’orée de ce débat.
I. Je voudrais commencer par répondre aux questions que tout le monde se pose aujourd’hui.
1. D’abord, y-a-t-il un blocage, comme certains le prétendent ?
La réalité, c’est qu’il n’y a pas de blocage, il y a un débat, et ce débat se poursuit.
Nous avons beaucoup discuté avec les partenaires sociaux pour améliorer notre projet initial. Nous avons pris en compte la pénibilité comme jamais elle n'a été prise en compte dans aucun autre pays.
Au cours du débat en commission, nous avons fait avancer les choses pour les handicapés, nous avons fait avancer les choses pour les chômeurs seniors, nous avons fait avancer les choses sur nombre de sujets, et nous pourrons sans doute encore avancer, dans le respect de l’équilibre du texte.
Les syndicats font des propositions. Le Gouvernement a dit qu’il était prêt à des avancées.
Il n’y a pas de blocage, mais il n’y a pas de solution miracle non plus.
2. La deuxième question en effet, c’est celle-ci : pour réformer nos retraites, y a-t-il d’autres solutions que le recul de l’âge de la retraite ?
D’abord, si vous posez la question aux Français : « Voulez-vous, oui ou non, sauver le régime par répartition ? » la réponse est « oui ».
Tout le monde est désormais d’accord là-dessus, car au fond il n’y a pas de débat idéologique sur les retraites. Le débat idéologique sur les retraites, c’est le débat capitalisation/répartition. Ce débat, nous l’avons tranché depuis longtemps, parce que la répartition, c’est la solidarité entre les générations et à l’intérieur des générations. C’est notre pacte social, c’est notre lien social, c’est notre socle commun issu du Conseil national de la Résistance. C’est ce système que le Gouvernement veut sauvegarder grâce à cette réforme.
Mais puisque nous sommes tous d’accord là-dessus, alors il faut en assumer les conséquences. Si en effet vous posez par référendum la question suivante: « Etes-vous d’accord pour travailler plus longtemps ? », il y a fort à parier que la réponse sera « non », parce que spontanément, et c’est humain, peu de personnes ont envie d’y répondre « oui ». Au fond, poser cette question par référendum, c’est choisir le camp de la facilité plutôt que celui du courage.
Car alors, une fois ce résultat obtenu, quelles solutions opérationnelles en tirez-vous ? Quelles sont les autres solutions au recul de l’âge de la retraite ?
Est-ce que cela signifie que les Français veulent payer plus d’impôts pour financer les retraites ? Dans ce cas ce n’est pas un projet de réforme des retraites, c’est un projet de réforme fiscale. Rajouter des recettes comme l’opposition le propose, grâce aux 40 milliards d’impôts en plus qui pèseront sur les classes moyennes, c’est toujours une solution, mais au détriment de l’emploi et du pouvoir d’achat.
Est-ce que cela signifie qu’il faut baisser les pensions ? Les Suédois l’ont fait, le niveau de leurs pensions baisse de 3% cette année. En France, il faudrait les baisser aujourd’hui de 10%, et en 2025 de 15%.
Est-ce que cela signifie alors qu’il faut cotiser plus longtemps ? Pour rétablir l’équilibre, il faudrait porter cette durée de cotisation à 47 ans.
On le voit, à toutes ces questions, chacun répondrait « non » également.
C’est pourquoi il faut débattre, mais il faut décider. La responsabilité du Gouvernement, avec le Président de la République et le Premier Ministre, c’est de garantir aux Français que leurs retraites et celles de leurs enfants seront payées. C’est l’intérêt général.
Vous connaissez les chiffres du Conseil d’orientation des retraites (COR) : aujourd’hui une retraite sur 10 est financée à crédit. Nous n’avons pas le droit de reporter cette charge sur les générations qui viennent.
En relevant progressivement l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans d’ici 2018, nous répondons au défi essentiel qui est devant nous : la démographie. C’est le pilier de notre réforme, qui nous permet de rétablir l’équilibre du système dès cette date, j’y reviendrai.
Tous les autres pays d’Europe ont relevé leur âge de départ. En Allemagne, on a relevé l’âge de départ à la retraite. En Italie, on a relevé l’âge de départ à la retraite. En Suède, on a relevé l’âge de départ à la retraite. En Espagne, on a relevé l’âge de départ à la retraite. En Angleterre, on a relevé l’âge de départ à la retraite.
Tous ces pays ont-ils tort ? Tous ces pays ont-ils tous une vision tronquée ou erronée de la manière de réformer les retraites ? Au contraire, ces pays ont choisi la voie du bon sens, parce que j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la retraite, c’est d’abord une question d’âge ; la retraite, c’est une question d’espérance de vie. Il y a un lien fondamental entre la durée de la vie et l’âge auquel on prend sa retraite. Changer, adapter, réformer un système de retraite par répartition, c’est d’abord adapter l’âge.
L'équilibre général de notre réforme repose sur le passage à 62 ans de l'âge de la retraite d’ici 2018 et à 67 ans de l'âge d’annulation de la décote d’ici 2023. Ce sont les points clés du texte et votre commission les a adoptés sans changements.
Deux ans de plus, c’est raisonnable : aujourd’hui on reste plus longtemps à la retraite qu’auparavant. Avec un âge de départ à la retraite à 62 ans, on restera encore plus de temps à la retraite qu’en 1980 - trois ans de plus-, simplement parce que l’espérance de vie a augmenté. Après la réforme comme avant la réforme, la France conservera le système le plus protecteur d’Europe.
Quant aux 67 ans, il faut que les choses soient claires : l’âge de la retraite en France, c’est 60 ans aujourd’hui, ce sera 62 ans demain pour une grande majorité des Français. 67 ans, c’est l’âge d’annulation de la décote pour ceux qui ont peu cotisé.
3. J’en viens à la question majeure que se posent les Français : cette réforme est-elle juste ?
Oui, cette réforme est juste, parce que chacun va faire un effort en fonction de ses capacités.
Notre réforme demande des efforts aux fonctionnaires car nous avons renforcé les mesures de rapprochement avec le secteur privé. Cet effort de convergence représente 4 Md€. Georges Tron y reviendra en détail.
Notre réforme demande aussi des efforts aux entreprises par l’annualisation des allègements de charges, ce qui représente 2,2 Md€. Quelle justification, en effet, peut-on trouver à favoriser les entreprises qui rémunèrent leurs salariés sur 13 ou 14 mois et non sur 12 ? Je vous réponds : aucune.
Enfin ceux qui gagnent plus vont être davantage mis à contribution.
Notre réforme met à contribution les hauts revenus en augmentant le taux de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu. Elle prévoit aussi des prélèvements accrus sur les stock-options, les retraites-chapeaux et les revenus du capital. Beaucoup en parlent : nous, nous le faisons. Cela représente 1,9 Md€ au total.
Oui, cette réforme est juste, parce que ceux qui ont commencé à travailler avant les autres ou qui ont eu des carrières pénibles pourront continuer à partir au maximum à 60 ans : c’est notre majorité qui avait déjà mis en œuvre cet effort de justice en 2003 avec les carrières longues. C’est de nouveau notre majorité qui est aujourd’hui au rendez-vous de la justice en matière de retraite avec la prise en compte de la pénibilité.
En créant le dispositif de pénibilité, nous avons créé un droit social nouveau pour les Français. Ceux qui ont un taux d’incapacité égal ou supérieur à 10 % pourront continuer de partir à 60 ans. Si l’on ajoute ceux qui bénéficient du dispositif « carrière longue », que nous avons élargi à ceux qui ont commencé à travailler à 17 ans, et les catégories actives de fonctionnaires, 150 000 personnes sur les 700 000 qui partent à la retraite chaque année pourront partir à 60 ans.
Oui, cette réforme est juste, grâce à la réforme de la médecine du travail. Oui, cette réforme est une formidable avancée, parce que l’enjeu essentiel, c’est d’améliorer la prévention. Les services de santé au travail contribueront davantage aux démarches de prévention des risques professionnels dans les entreprises, en s’appuyant notamment sur des équipes pluridisciplinaires.
Je veux réaffirmer ici qu’aucune disposition relative à l’indépendance des médecins du travail n’est supprimée. S’il y avait eu le moindre risque de porter atteinte à leur indépendance avec cette réforme, jamais je ne l’aurais engagée ni portée ! Bien au contraire, cette indépendance est réaffirmée par l’examen en commission. La mission des équipes de santé au travail et des médecins du travail sera facilitée par les nouvelles dispositions au bénéfice des salariés et des entreprises.
Oui, cette réforme est juste enfin, parce qu’elle prend en compte les seniors, que nous avons trop longtemps considérés en France comme la variable d’ajustement du marché du travail. Repousser l’horizon de départ à la retraite, c’est inciter les entreprises à revoir leur politique de formation de leurs travailleurs seniors. Pour les accompagner dans leur action, nous avons prévu dans ce texte des aides en faveur de l’embauche des seniors.
Tout cela est profondément juste et humain, et nous continuons à progresser en ce sens. Votre commission des affaires sociales a réalisé de nouvelles avancées tout en confirmant l’équilibre qui avait été trouvé avec les députés.
II. L’examen du texte par votre commission des affaires sociales a permis de renforcer la justice de notre projet sur trois sujets essentiels.
Je tiens à la remercier pour son efficacité, sous la présidence de Muguette Dini. Je salue aussi le rôle joué par votre rapporteur, Dominique Leclerc, dont je veux souligner la rigueur et la qualité du travail. Les 113 amendements qui ont été adoptés au cours de l’examen du texte ont renforcé l’équité de notre projet, comme le souhaitait le Président de la République.
1. Première avancée, pour les travailleurs handicapés, nous avons élargi le droit à la retraite anticipée à 55 ans.
Aujourd’hui, seuls ceux qui ont travaillé en étant handicapés à au moins 80% peuvent en bénéficier. Résultat, seulement 1 000 d’entre eux bénéficient chaque année de la retraite anticipée à 55 ans. Ce critère était trop dur et il fallait l’assouplir. Votre rapporteur a donc proposé, avec l’accord du Gouvernement, d’étendre l’accès à la retraite anticipée à 55 ans à tous ceux qui sont reconnus comme travailleurs handicapés, ce qui représente un million de personnes.
2. Deuxième avancée, votre commission a adopté, également avec l’accord du Gouvernement, un amendement pour les chômeurs proches de la retraite qui perçoivent l’allocation équivalent retraite (AER).
Du fait du report de l’âge légal, ces derniers risquaient de se retrouver sans autres ressources que le RSA dans l’attente de pouvoir liquider leur pension. Grâce à l’amendement qui a été adopté, ils pourront conserver le bénéfice de l’AER jusqu’à l’âge de leur départ en retraite.
3. La troisième avancée concerne les travailleurs victimes de l'amiante.
Nous avons adopté un mécanisme de lissage pour éviter que l’âge d’entrée dans le dispositif de préretraite amiante n’augmente de façon brutale. Cet âge sera augmenté progressivement. Par exemple, pour ceux qui sont concernés par ce dispositif et qui prévoyaient de partir l’an prochain à la retraite, le décalage sera de quatre mois et non de deux ans.
III. Le Gouvernement est toujours ouvert. Notre débat doit nous permettre de continuer à avancer tout en préservant les principes directeurs de la réforme et son équilibre financier.
1. Nous devons respecter l’équilibre général du texte, car la première des justices d’un système de retraites, c’est d’être en équilibre. Si les retraites publiques ne sont plus assurées, ce sont les plus modestes qui sont pénalisés.
C’est pourquoi le Gouvernement ne reviendra pas sur le relèvement des bornes d’âge, parce que cette mesure est essentielle à l'équilibre du système. Les mesures d’âge assurent près de la moitié de l’effort à l’horizon 2018 : elles représentent 18,6 Md€ sur 43,8 Md€ de déficit. Aucune autre solution crédible ne permet d’atteindre pareil objectif.
2. Notre réforme est ainsi équilibrée financièrement.
Les déficits accumulés d’ici 2018 seront repris par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). En contrepartie, les actifs et ressources du Fonds de réserve des retraites lui seront transférés. La crise a rapproché de vingt ans les déficits de nos régimes de retraite. Il faut bien, face à ce défi, que nous apportions des réponses, et c’est ce que nous faisons. On ne peut à la fois emmagasiner des réserves pour nos retraites et laisser dans le même temps leurs déficits s’accroître!
L’ensemble de ces éléments permet d’atteindre l’équilibre des régimes de retraite à horizon 2018. Cet objectif est atteint de manière cohérente : le rendement des mesures d’âge a été calculé prudemment ; la contribution des autres régimes de protection sociale, en particulier l’assurance-chômage, est modeste, et enfin nous apportons une solution aux déficits qui surviendront d’ici 2018.
3. Dans le respect de cet équilibre, de nouvelles avancées pourront sans doute améliorer encore ce texte.
Je tiens à saluer en particulier le débat de fond qui s’est tenu en commission sur la situation des femmes, sur la base du rapport de la délégation au droit des femmes. Votre rapporteur a posé le sujet tel qu’il fallait le poser. Nous en avions déjà débattu à l’Assemblé nationale et je tiens à le rappeler, le projet du Gouvernement contient d’ores et déjà des avancées pour les femmes.
Les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes sont une injustice, c’est une évidence. J’ai moi - même voulu que nous ouvrions un débat sur ce sujet, pour que nous trouvions les solutions les plus justes.
Aujourd’hui, dans l’ensemble, les femmes ne manquent plus de trimestres de cotisations : une femme qui a 55 ans aujourd’hui a autant de trimestres de retraites qu’un homme, une femme de 45 ans, 15 de plus.
Il est vrai toutefois que le manque de trimestres concerne encore certaines générations, celles des femmes qui atteindront l’âge de la retraite dans les cinq ans qui viennent. Je sais que certains d’entre vous ont à cœur que nous débattions de cette question.
Mais cette question ne doit pas masquer par ailleurs ce qui constitue le vrai défi pour l’ensemble des femmes : l’inégalité salariale. Aujourd’hui, la véritable cause des inégalités de retraites entre les hommes et les femmes, ce sont les écarts de salaire et de carrière. Les femmes en paient le prix ensuite pendant leur retraite. C’est une situation inacceptable et c’est pour y apporter une réponse adaptée que nous avons proposé dans ce texte une mesure importante.
Nous proposons de pénaliser les entreprises qui n’adopteront pas les mesures suffisantes en matière d’égalité salariale. Et nous mettons en place une mesure totalement nouvelle : la transparence en matière d’égalité professionnelle afin d’inciter chacun à progresser. Il faut mettre les entreprises face à leurs responsabilités, c’est un choix que nous assumons.
Faut-il aller plus loin ? Nous en débattrons ensemble.
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Mesdames et Messieurs les Sénateurs
Je souhaite que notre discussion permette d’enrichir encore le débat mais je sais que la Haute Assemblée est, comme nous tous, soucieuse de ne pas remettre en cause les équilibres auxquels nous sommes parvenus. Nous devons regarder les situations telles qu’elles sont. C’est comme cela que nous apporterons les vraies réponses aux attentes des Français. C’est comme cela que nous pourrons assurer la pérennité et l’équilibre de notre régime par répartition. C’est notre responsabilité collective. Soyons ensemble à la hauteur de ce défi majeur pour les Français, majeur pour notre République.
Je vous remercie.
Seul le prononcé fait foi
[05/10/10]