Trentième anniversaire de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires - Discours de clôture du colloque - 11/07/2013
Messieurs les ministres,*
Monsieur le directeur général,
Mesdames et messieurs,
Permettez-moi de vous remercier de votre présence aujourd’hui et permettez-moi de saluer la qualité des échanges auxquels j’ai pu assister.
C’est un événement important que de célébrer, trente ans après sa publication, l’anniversaire d’un texte aussi fondamental que le statut général de la fonction publique.
Des trois statuts qui se sont succédés depuis 1946, celui-ci est d’ores-et-déjà celui qui a connu la plus grande longévité. Ses dispositions ont résisté aux évolutions de nos administrations, ce qui est d’autant plus remarquable que peu de secteurs ont autant changé depuis trente ans que le secteur public.
La jurisprudence s’est développée. Les modalités d’action publique se sont diversifiées. Les attentes des citoyens et les besoins de la puissance publique ont été profondément renouvelés, mais le texte, lui, n’a que peu changé, et les valeurs qu’il porte demeurent d’une actualité constante.
Là est sans doute l’une des forces de notre fonction publique : son enracinement dans le temps, sa légitimité aux yeux de nos concitoyens et les services qu’elle a rendus et qu’elle continue de rendre au pays.
Pour ma part, je n’oublie pas que notre fonction publique est encore aujourd’hui l’un des grands héritages des Gouvernements issus de la Résistance.
La France, à cette époque, a pu compter sur l’Etat et sur ses agents pour conduire la reconstruction du pays et relever des défis immenses dont nous pouvons à peine aujourd’hui imaginer l’ampleur.
Parce qu’une partie de l’appareil d’Etat a failli pendant l’Occupation, la France a fait le choix d’une fonction publique indépendante, protégée de l’arbitraire politique, où l’impartialité des agents était une condition de la neutralité de l’Etat, c’est-à-dire, au fond, de l’égalité des citoyens devant la loi et devant le service public.
Parce que les défis de la reconstruction étaient considérables et qu’il revenait à la puissance publique de les assumer, la continuité du service public a été garantie car elle était une condition de l’efficacité de l’Etat.
La responsabilité des agents et la probité ont également été consacrées par les textes au nom des obligations spécifiques qui incombent à ceux qui assument des missions de service public et en exercent les prérogatives.
Ces impératifs n’ont pas changé. Ils fondent l’identité de notre fonction publique et constituent sa raison d’être, le coeur des droits et obligations des fonctionnaires.
La neutralité, l’impartialité, l’égalité républicaine, la continuité, la responsabilité et la probité restent aujourd’hui des exigences fondamentales. Elles sont au coeur des attentes d’une société en crise, en perte de repères, en mal de solidarité, frappée par toutes les dérives du chômage, de l’individualisme du communautarisme et du repli sur soi.
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Grâce à Anicet Le Pors, avec la conviction qu’il nous a fait partager ce matin, c’est ce modèle que François Mitterrand et Pierre Mauroy ont décidé d’étendre aux collectivités locales et au secteur hospitalier. Ce fut là un choix profondément politique, et c’est sur cette base que tous les Gouvernements successifs ont travaillé depuis lors.
Je tiens à saluer ici mes prédécesseurs, dont la présence aujourd’hui montre qu’au-delà des convictions de chacun, un consensus existe en France autour de notre modèle statutaire de fonction publique.
C’est d’ailleurs une leçon à méditer que tous les Gouvernements depuis 1946, quelle que soit leur attitude à l’égard des fonctionnaires, en sont tous arrivés au constat que le lien statutaire et non contractuel qui unit l’employeur public et l’agent est le plus adapté aux exigences de la puissance publique.
En fondant l’accès aux emplois publics sur le mérite et la compétence, conformément à la Constitution, il permet à la France de disposer d’une administration reconnue pour son expertise et capable d’assurer ses missions avec l’impartialité et l’indépendance nécessaires.
En rendant l’agent titulaire de son grade, il lui offre également une sécurité supérieure à celle du salarié de droit privé. Mais, contrairement aux idées reçues, il offre en même temps à l’administration une souplesse supérieure à celle d’un employeur privé, notamment parce qu’il lui confère une marge de manoeuvre importante pour employer l’agent et répondre aux obligations spécifiques du service public.
Chaque année, par exemple, ce sont plus de 100.000 fonctionnaires qui changent de poste ou d’affectation géographique, notamment du fait des réorganisations administratives. Ce sont là les exigences et les contraintes ordinaires du service public, qui doit en permanence s’adapter, évoluer et se moderniser.
Imagine-t-on les coûts et les lourdeurs de gestion qu’impliquerait la généralisation d’un modèle contractuel au sein de la fonction publique ?
Et imagine-t-on l’Etat ou les collectivités renégocier systématiquement les contrats et les conditions d’emploi des agents à chaque réforme et chaque réorganisation ?
À ceux qui rêvent d’une abolition du statut, une analyse lucide répond que, sans le statut des fonctionnaires, il n’y aurait pas de réforme de l’Etat possible dans notre pays.
Et à ceux qui citent l’exemple des modes de gestion des grandes entreprises, qui ont également leurs pesanteurs, je leur demande de me citer un seul employeur qui ait à gérer 2,5 millions d’agents et plus de 900 métiers différents…
L’Etat, du fait des missions qu’il assume, est aujourd’hui le premier employeur d’Europe, tous secteurs et tous pays confondus. Et l’avenir de l’Etat, comme celui des collectivités, ne peut s’envisager sérieusement en dehors d’un mode de gestion qui soit adapté non seulement à l’ampleur des services publics que nous devons gérer, mais aussi à leur permanente et nécessaire évolution.
Ce constat, qui transcende les clivages partisans, ne doit évidemment pas être un prétexte à l’inaction, et les intervenants ont tous souligné les contraintes et les équilibres auxquels il faut constamment veiller quand on est ministre de la fonction publique.
Une vigilance de chaque instant est nécessaire pour lutter contre certaines tendances naturelles de nos administrations. Je pense à la multiplication des corps, des statuts d’emploi, des régimes indemnitaires ou des pratiques de gestion qui répondent souvent à des besoins légitimes mais qui se traduisent toujours à la fin par des conséquences négatives pour les agents : une rigidification des carrières, un frein à la mobilité et un accroissement des coûts de gestion.
Face à cette situation, le statut, autrement dit la fonction publique de carrière, n’a d’avenir que dans la conciliation permanente entre l’adaptation aux besoins du service et la prise en compte des aspirations des agents.
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Au coeur de tous ces équilibres, il y a d’abord celui entre les droits des fonctionnaires et les obligations qui fondent la spécificité de leur statut. C’est le coeur de la loi de 1983 et c’est par là que le Gouvernement a choisi de commencer.
Je présenterai mercredi prochain en Conseil des ministres un projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
Ce texte revisite et complète de nombreux aspects de la loi du 13 juillet 1983. C’est un message d’attachement à notre modèle statutaire que le Gouvernement adresse aux citoyens, mais c’est aussi une façon de témoigner notre reconnaissance aux agents et de redonner du sens à leur métier et à leurs missions.
L’objectif est bien de conforter le statut général, de renforcer sa portée politique, de faire en sorte qu’il ne soit pas simplement un texte de gestion mais qu’il porte une vision du service public et qu’il donne de la visibilité aux valeurs républicaines qui sont celles qu’incarnent quotidiennement les agents.
C’est le sens de l’article premier par lequel nous inscrivons dans la loi quelques uns des principes jurisprudentiels les plus fondamentaux qui s’appliquent à la fonction publique : neutralité, impartialité, laïcité et probité.
C’est également le sens des chapitres relatifs à la déontologie, qui renforcent significativement les dispositifs existants en matière de transparence, de prévention des conflits d’intérêts, de cumuls d’activités ou de départ vers le secteur privé.
Mais, à côté de ce renforcement des obligations des agents, nous avons placé deux chapitres dont nous estimons qu’ils renforcent les droits des agents.
C’est le choix que nous avons fait en étendant la protection fonctionnelle aux familles de fonctionnaires. Les ayant–droits des fonctionnaires victimes d’agressions ont le droit de bénéficier de la protection de l’administration devant la justice, de même que les familles de fonctionnaires quand un conjoint ou un enfant d’agent est victime d’agressions du fait de ses fonctions.
La protection des droits des agents a également été notre objectif en matière disciplinaire. Notre texte permettra d’unifier et d’harmoniser les échelles de sanction entre les trois fonctions publiques, et d’encadrer enfin l’action disciplinaire par un délai de prescription qui obligera l’administration à agir.
Sur tous ces points, le Gouvernement souhaite porter une vision exigeante de la fonction publique, fondée sur un haut niveau de droits et d’obligations. Nous voulons des fonctionnaires exemplaires, dont chaque obligation est une garantie pour l’usager. Et nous voulons des employeurs exemplaires, qui sachent respecter les droits des agents.
C’est dans cet esprit que j’ai souhaité faire figurer dans ce texte un troisième chapitre qui transpose dans la loi les avancées du dialogue social que nous avons engagé, que ce soit en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, avec l’accord unanime du 8 mars dernier, en matière de titularisation des contractuels ou en matière de dialogue social.
C’est une période de concertation intense qui vient de s’achever par un vote favorable du Conseil commun de la fonction publique, et je tiens à saluer l’important travail réalisé avec les organisations syndicales et les employeurs, qui a permis d’améliorer ce projet de loi.
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D’autres occasions se présenteront de faire évoluer le statut des fonctionnaires. Je pense notamment à la mission sur la rénovation statutaire, confiée au Président Bernard Pécheur, et dont le Gouvernement attend beaucoup.
Après les valeurs et les principes fondamentaux, il sera temps en effet d’ouvrir le chantier des modes de gestion qui en garantissent l’équilibre au quotidien.
Sur ce point, vous le savez, les défis sont considérables. Les collectivités publiques seront confrontées dans les années à venir à des besoins multiples :
- recruter des personnes compétentes, issues de toutes les composantes de la société, qui s’engagent dans des métiers pour assurer des missions dont le sens et les valeurs sont connus et attrayants ;
- les motiver tout au long de leur carrière, en les gérant de façon juste et personnalisée ;
- diversifier, leurs parcours professionnels, grâce à une mobilité accrue, y compris externe, pour anticiper les besoins en évolution constante de la population et enrichir les compétences des agents.
Tout ceci supposera de rénover l’architecture statutaire de notre fonction publique et de faire évoluer les cadres de gestion pour adapter les qualifications aux besoins du service, favoriser les mobilités, permettre une meilleure prise en compte des aspirations individuelles, récompenser les mérites, simplifier les procédures.
L’objectif doit être de permettre à la fois d’améliorer les perspectives de carrière des agents et de moderniser les règles et les pratiques de gestion. C’est un enjeu d’efficacité pour nos administrations, mais aussi d’attractivité de notre fonction publique.
Cela demandera évidemment de l’imagination et de la volonté, mais j’ai confiance dans la qualité de notre dialogue social et dans notre capacité à faire prévaloir collectivement des solutions intelligentes et partagées. L’enjeu est de taille et la réforme attendue par des agents qui manifestent une aspiration à des métiers plus variés et plus enrichissants, ainsi qu’à une meilleure reconnaissance de leur travail et de leurs aspirations.
Il s’agira d’écrire une nouvelle page dans l’histoire de la fonction publique et de prouver, une fois de plus, que le statut est une forme suffisamment souple et protectrice pour répondre à des besoins sans cesse renouvelés dans des circonstances à chaque fois différentes.
Trente ans après la loi Le Pors et soixante-sept ans après le premier statut général de 1946, c’est le plus bel hommage que nous puissions rendre aux auteurs de ces textes fondamentaux que de retrouver, dans un monde qui a tant changé, un peu de l’esprit pionnier et novateur qui fut le leur lorsqu’ils durent concevoir, presque de toutes pièces, l’une des constructionsjuridiques les plus ambitieuses de notre droit.
Que cette journée soit donc l’occasion de leur rendre cet hommage et de témoigner publiquement de la fidélité du Gouvernement à l’inspiration qui les a guidés et à cette idée du service public qui nous réunit tous.
Je vous remercie.