Le prix Initiative Hemploi au ministère de la Défense - 02/05/2011
Interview d'Anne-Marie Le Verche, correspondante nationale handicap à la direction des ressources humaines du ministère de la Défense, pour Trajectoires
Parlez-nous de la genèse de ce prix
De nombreux échanges avec des acteurs locaux m'ont donné l'idée d'organiser ce prix, pour d'une part les citer pour leurs démarches exemplaires, d'autre part pour enrichir les bonnes pratiques du ministère en la matière. De plus créer un prix permet de mobiliser le collectif de travail, un prix suscite toujours une certaine curiosité même si le sujet ne retient pas forcément l'attention au départ. Aussi, pour exercer efficacement et utilement les fonctions de correspondant handicap national, il est impératif d'être à l'écoute des agents qui travaillent dans les établissements, des acteurs locaux qui sont confrontés tous les jours à des difficultés. Ces acteurs doivent trouver des solutions sur le terrain. Elles sont souvent le fruit d'efforts répétés, de travail en équipe et de beaucoup de volonté et de ténacité. Ces actions passent souvent inaperçues et ne sont pas partagées. Pourtant elles ont valeur d'exemple.
La création du prix Initiative Hemploi s'inscrit dans une démarche de valorisation des initiatives des agents militaires et civils du ministère de la Défense dans le domaine du handicap. C'est un prix, mais c'est avant tout un échange de savoir faire. C'est pour moi un canal d'information sur les difficultés locales mais aussi sur les succès, les victoires je dirais les batailles gagnées par des acteurs dotés de bon sens, d'ingéniosité, de camaraderie. Il est important que ces initiatives soient connues et répercutées au niveau national par l'administration centrale.
Pour illustrer mes propos, je citerai le dossier d'un candidat nominé dans la catégorie coup de coeur du jury. Il s'agit d'une équipe de l'atelier industriel de l'aéronautique de Clermont-Ferrand qui s'est mobilisée et organisée pour (réfléchir aux solutions d'adaptation du poste de travail) de leur chef afin de le maintenir dans son emploi après son retour de maladie. L'équipe s'est réunie régulièrement pour mettre en place des solutions humaines et matérielles afin de gommer les situations de handicap du manager.
Cette initiative rare confirme avec pertinence que l'aménagement d'un poste de travail n'est pas uniquement l'affaire de la personne en situation de handicap, mais bien de l'équipe qui travaille avec elle. En effet, la compensation matérielle doit toujours être associée à la sensibilisation et la réorganisation, si petite soit-elle, du service. C'est notamment pour cette raison que le handicap est un enrichissement pour la communauté de Défense.
De plus le prix Initiative Hemploi véhicule une image très positive des personnes handicapées. Je citerai le gagnant de la catégorie coup de coeur du jury de l'état-major de Lyon pour l'organisation et l'adaptation d'une formation aux premiers secours qui a permis a deux personnes à mobilité réduite de suivre cette formation. L'équipe qui a participé à cette session de formation aux premiers secours a déclaré avoir «ouvert les yeux sur les possibilités des personnes invalides. Une personne à mobilité réduite peut sauver la vie d'un valide par des gestes de secours appropriés».
Le prix Initiative Hemploi souligne l'investissement des agents civils et militaires en matière de handicap. Il contribue à donner une image très positive des personnes handicapées et renforce la conviction du ministère que toute situation de handicap dès qu'elle est compensée gomme nos différences et répond au principe fort de l'égalité des chances.
Le ministère de la défense développe des actions innovantes dans ce domaine, pouvez vous nous parler du CV vidéo ?
Une société a eu l'idée de réaliser des CV vidéo spécialement pour les personnes handicapées. Le candidat est préalablement coaché par un professionnel du recrutement et l'enregistrement dure environ 2 minutes 30. Le CV vidéo ne remplace pas le CV papier, il vient le compléter. C'est un outil original qui valorise le savoir être, le caractère, la détermination de la personne handicapée en situation de recherche d'emploi. Sur un CV papier, il est très difficile pour les personnes handicapées de prouver aux employeurs qu'ils sont motivés et qu'ils sont capables de pouvoir faire exactement ce qui leur est demandé sur un poste proposé. Le CV vidéo montre l'implication du candidat. Il dynamise la candidature papier.
Les questions posées par le coach pendant le tournage vont faciliter le travail de l'employeur en matière de besoin d'aménagement de poste, de restrictions etc. Les futurs employeurs, les chefs de service, les acteurs qui reçoivent les candidats ne sont pas, la plupart du temps, préparés aux entretiens d'embauche avec des personnes handicapées. Ils ont peur de blesser la personne, ne savent pas comment formuler les questions.
Prendre connaissance du CV vidéo permet au futur employeur d'avoir une approche positive du candidat. Il se prépare en quelque sorte à le rencontrer. L'employeur abordera de façon plus sereine le candidat, le handicap ou les restrictions, en particulier pour un handicap invisible, ayant déjà été évoqués dans le CV vidéo. L'employeur sera beaucoup plus concentré sur les compétences du candidat. Le contact et l'entretien sont facilités, le recruteur et le candidat seront plus performants.
Réaliser un CV vidéo, ce n'est pas facile pour une personne handicapée. Toutefois lorsqu'elle a franchi le pas, elle se sent capable de soutenir un entretien et reprend confiance. Le CV vidéo c'est un peu une présélection il faut être très motivé pour se lancer dans cette démarche.
Le CV vidéo permet de faire sauter les préjugés. La première fois que j'ai montré des CV vidéos de candidats, le chargé de recrutement m'a dit « mais ils n'ont rien, ils ne sont pas handicapés... ». Peu de candidats présentaient des handicaps visibles...
Cette nouvelle méthode est à mon avis très performante. Il faudra renouveler plusieurs fois l'opération au sein du ministère pour que cet outil soit mieux connu et que les méthodes évoluent.
Comment peut-on à votre avis inciter les agents souffrant de handicap à se déclarer ?
Le mot handicap a une connotation péjorative et les images qui lui sont associées sont des stéréotypes comme le fauteuil roulant. Les repères, les normes sociétales actuelles ne favorisent pas la déclaration des personnes handicapées. La plupart du temps, les droits qui peuvent découler de la déclaration comme le travail à temps partiel de droit, les aménagements, etc. ne sont pas suffisamment convaincants ni déterminants pour les encourager à se déclarer. L'agent use son capital disponible jusqu'au constat d'un état de santé dégradé. La personne en situation de handicap qui est dirigée vers la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) n'est pas toujours préparée à entendre qu'elle est handicapée, elle ne se sent pas handicapée.
Le mot handicap fait peur, la personne handicapée ou qui le devient va devoir accepter le regard des autres et affronter les préjugés sur ses capacités et ses compétences. Elle va donc le cacher le plus longtemps possible pour éviter le comportement de son entourage qui très souvent va se modifier. Comment demander à une personne de se déclarer dans un tel contexte ? La connaissance du handicap dans le monde professionnel, la mobilisation du collectif de travail, l'information et la formation sont à mon avis les vrais vecteurs de changement de mentalité. Banaliser le handicap, chambouler les normes permet de créer un environnement beaucoup plus favorable à la déclaration.
Susciter la déclaration, c'est mettre en confiance la personne concernée dans une organisation professionnelle prête à l'accepter. C'est-à-dire un collectif de travail organisé de telle manière que la prise en compte du handicap soit intégrée dans les différents domaines professionnels. Pour inciter les agents à se déclarer il faut d'abord se remettre en question avant d'exiger d'eux une démarche difficile. Il faut accepter que le processus psychologique soit lent pour réussir à orienter l'agent vers la déclaration. La hiérarchie a un rôle primordial à jouer. Il est donc important de l'informer et de la sensibiliser. Le handicap dans le monde professionnel est avant tout du ressort des ressources humaines et des chefs. La hiérarchie doit créer et entretenir le dialogue avec la personne en situation de handicap, parler de ses difficultés, des répercussions dans l'équipe et des solutions qui seraient envisageables dans l'éventualité d'une déclaration.
Dans le cadre de la campagne itinérante de formation et d'information portant sur le handicap organisé par la direction des ressources humaines du ministère de la défense, un partenariat a été établi avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Leur présence sur le dispositif de la campagne itinérante a facilité les entretiens. Les agents concernés ont pu s'entretenir avec des professionnels extérieurs au ministère. La mission handicap a été un facilitateur de rencontre discrète, de rendez-vous personnalisé.
De façon expérimentale, j'ai donné la possibilité aux personnes handicapées de se déclarer en ligne sur le site intranet du ministère. En un mois 150 personnes se sont déclarées, 50 d'entre elles effectuaient cette déclaration pour la première fois. C'est une formule qui est séduisante parce qu'elle informe les agents, les encourage à faire valoir leurs droits et surtout procure un sentiment d'anonymat.
Lorsque je dispense des formations, notamment aux lauréats de concours, à la pause ou en fin de séance ils viennent me voir et me disent : « vous croyez que je devrais me déclarer... ». Souvent quelques temps plus tard, ils me contactent par téléphone pour me dire qu'ils ont leur reconnaissance de qualité de travailleur handicapé et me demandent ce qu'ils doivent faire pour se déclarer.
A mon avis, il n'y a pas de solution toute faite, c'est beaucoup de dialogue, d'information et de relations de confiance qui amène une personne handicapée à se déclarer.
Vous avez monté une campagne itinérante d'information et de formation sur le handicap : comment l'avez vous préparée ?
Ma qualité de correspondant handicap national du ministère privilégie mes relations avec les personnes handicapées, les DRH, les médecins de prévention et l'ensemble des acteurs dans le domaine du handicap. Les nombreux contacts et échanges m'ont rapidement fait prendre conscience de la nécessité, d'une part de renforcer la communication professionnelle sur le handicap et la coordination des actions, d'autre part de développer des actions d'information, de formation et de sensibilisation pour le collectif de travail.
Mon expérience acquise « sur le terrain » au sein d'un régiment, m'a orientée vers la conception d'une action de proximité pour deux raisons. La première c'est que la mobilisation s'obtient difficilement en diffusant des notes de service, en particulier pour un sujet délicat tel que le handicap. La seconde c'est que les notions fondamentales telles que la situation de handicap, la compensation de handicap, le désavantage s'expliquent et surtout se comprennent beaucoup mieux lorsqu'on est concerné, ne serait-ce que quelques instants. Les agents ne sont pas spontanément intéressés par le handicap. Il faut donc aller vers eux et leur proposer une approche des situations de handicap et leurs répercussions dans le monde professionnel.
Mieux comprendre permet de mieux réagir. Il fallait créer de l'événementiel pour banaliser le handicap.
J'ai donc imaginé un dispositif itinérant qui stationnerait sur des sites militaires de différentes villes de France. J'ai conçu un axe central ludique et pédagogique pour faire découvrir les différents types de handicap et en particulier les situations de handicap sensoriels, ainsi que des ateliers intitulés « parcours du quotidien ».
Pour exploiter le mieux possible cette action nationale de grande envergure initiée en 2009 et reconduite en 2010, j'ai demandé aux correspondants handicap de diffuser l'information pour obtenir par ville environ 90 inscriptions à la formation « handicap et bonnes pratiques » que je dispense le matin. Ainsi au cours des deux campagnes plus de 1200 acteurs ont participé à cette formation.
Enfin pour animer les différentes étapes de l'insertion et du maintien dans l'emploi des personnes handicapées dans le monde professionnel, je me suis entourée de spécialistes : représentants des maisons départementales des personnes handicapées, spécialistes des nouvelles technologies...Cette collaboration a permis de susciter une visite participative auprès des 3500 visiteurs accueillis sur le site pendant ces deux campagnes itinérantes.
C'est une entreprise passionnante qui confirme que l'information et la formation sont des actions indispensables pour garantir l'intégration et le maintien dans l'emploi des personnes handicapées.