Remise des insignes de Commandeur dans l’ordre national de la Légion d’honneur à Anicet Le Pors - 26/10/2016
* Mesdames et messieurs les Ministres
Mesdames et messieurs les parlementaires
Monsieur le commissaire général à l’investissement
Mesdames et messieurs,
Cher Anicet Le Pors,
Je suis très fière d’être aujourd’hui à vos côtés pour vous remettre ces insignes de commandeur de la légion d’honneur.
Et si j’ai choisi ce lieu, ce n’est pas par hasard. L’hôtel de Cassini que chacun a pu découvriren passant le porche d’entrée a longtemps hébergé le ministère de la Fonction publique.
Cet hôtel, ces couloirs, ces bureaux, ces salles de réunion, vous les connaissez bien. Nous sommes actuellement dans la salle de marbre et, derrière cette porte, se trouve la salle de la Chapelle.
C’est dans cette salle chargée d’histoire qu’ont été signés ces dernières décennies, les grands accords relatifs à la Fonction publique. Une salle que je connais moi aussi puisque c’est ici que j’ai eu le plaisir de conclure le rendez-vous salarial sur le dégel du point d’indice en mars dernier.
Quel beau symbole de vous remettre ces insignes ici, à l’heure où nous venons de célébrer les 70 ans d’un statut plus que jamais d’actualité.
Et je veux dire tout d'abord que je suis heureuse, Monsieur le Ministre, cher prédécesseur à la tête de ce beau Ministère de la Fonction publique, de voir autour de vous tous ces amis fidèles, tous ceux qui ont eu la chance d’évoluer à vos côtés et de s’enrichir de votre formidable expérience.
Tous ici présents ont tenu à assister à cette cérémonie pour vous rendre l’hommage républicain dont vous serez, dans quelques instants, le récipiendaire. Je sais que c’est le colonel Henri Rol-Tanguy qui vous a fait chevalier de la légion d’honneur, je suis très touchée que vous m’ayez choisie aujourd’hui.
* * *
Si je devais résumer votre parcours en une seule phrase, je mettrais l’accent sur l’attachement viscéral que vous avez toujours manifesté pour l’intérêt général.
La défense de l’intérêt général et, par extension, des populations les plus fragiles, est sans nul doute le fil rouge qui a guidé votre vie publique.
Votre parcours nous rappelle avec éclat pourquoi nous sommes si attachés à notre modèle de Fonction publique, partie intégrante de notre modèle social.
Ce modèle, vous avez contribué à le façonner, à le transformer et à l’améliorer. Vous en êtes en quelque sorte l’un de ses grands bâtisseurs.
Itinéraire d’un inclassable
Vous n’étiez pourtant pas destiné à marquer de votre empreinte la Fonction publique. Issu d’une famille bretonne de Plouguerneau, vous avez grandi dans une famille de tradition catholique en voie de laïcisation. Vous aimez à rappeler que votre grand-père était anarchiste, ce qui était très mal perçu par le curé de la paroisse locale.
Mais cette Bretagne, à l’époque très imprégnée de catholicisme, vous ne l’avez jamais connue enfant. C’est deux ans avant votre naissance que vos parents ont émigré en région parisienne en 1929.
Un exil qu’a connu toute une génération de bretons qui fuyait la misère de leur terre natale. De cette terre pourtant lointaine, vous garderez un attachement charnel.
L’environnement dans lequel vous avez été élevé n’était ni religieux, ni politique au sens militant. Pourtant, vous ne vous en cachez pas, les racines de votre engagement au service de la République viennent du christianisme social.
Aussi étonnant que cela puisse paraitre, vous lisiez aussi bien la Bible que le Capital. Cet intérêt hybride pour ces univers différents vous a sensibilisé très tôt aux enjeux de votre époque.
Pur produit de la méritocratie républicaine, vous décrochez avec succès en 1951 votre diplôme à l’école nationale de la Météorologie et entrez ainsi dans la Fonction publique.
Vous devenez ensuite Ingénieur à la Météorologie Nationale à Marrakech puis à Casablanca.
Une période d’apprentissage pendant laquelle vous prenez conscience de l’impasse de la France coloniale et dont découlent vos profonds engagements anti-coloniaux.
Genèse d’un engagement
C’est aussi à cette période que vous avez franchi le Rubicon de l’engagement. Engagement politique auprès du mouvement Jeune République puis du Parti Communiste Français mais aussi engagement syndical auprès de la CFTC puis de la CGT.
Vous découvrez petit à petit les rouages de l’Etat au ministère de l’économie et des finances à partir de 1965. D’abord comme chargé de mission puis comme chef de bureau de l’industrie pour enfin être nommé chef de la mission interministérielle « Immigration et développement économique et social ».
Le grand écart avec votre formation initiale de météorologiste et la preuve de la richesse du parcours de nombreux fonctionnaires.
Cette période d’apprentissage vous a donné goût à la chose publique. Ce travail de technicien a affûté votre regard sur l’action publique autant qu’il vous a fait prendre conscience du rôle majeur du politique dans le processus de décision.
Anicet Le Pors le communiste
On ne peut toutefois pas dissocier votre ascension de votre engagement partisan.
Vous faisiez partie de ces hommes attirés par « cette grande lueur à l’Est », pour paraphraser la célèbre formule de Jules Romains.
Figure montante du parti communiste dans les années 1970, proche de Georges Marchais dont vous écriviez les discours, vous faites partie, à votre grande surprise, des quatre ministres communistes nommés au gouvernement en juin 1981 par Pierre Mauroy.
En compagnie de Charles Fiterman, Jack Ralite ici présents que je salue, et du regretté Marcel Rigout, vous avez contribué à faire vivre l’union de la gauche et ainsi donner corps au programme commun porté par François Mitterrand. Mais surtout, vous avez laissé une trace majeure à travers la conduite de politiques sociales qui imprègnent encore l’imaginaire collectif.
Un rôle de pionnier dans la modernisation de la Fonction publique
Arrêtons-nous un instant sur votre passage au Ministère de la Fonction publique. Tout d’abord, j’aimerais vous dire cher Anicet Le Pors que votre empreinte reste vive aujourd’hui.
L’édifice que vous avez contribué à construire au début des années 1980 est encore solide.
Les lois de juillet 83, de janvier 84 et même si vous n’avez pas porté la dernière, de janvier 86 ont permis d’organiser la Fonction publique en trois versants et d’élargir le statut des fonctionnaires. Elles relevaient toutes de la même logique et c’est vous qui l’avez impulsée.
Vous n’êtes cependant pas arrivé à la tête de ce ministère par hasard. Vous sortiez de vingtcinq ans de militantisme dans la Fonction publique, en connaissiez bien le droit et maitrisiez les problèmes qui s’y posaient.
En quelques années, vous êtes parvenu à moderniser le statut des fonctionnaires de l’État en y introduisant des notions qui étaient jusque-là purement jurisprudentielles. Je pense au droit de grève, à la liberté d’opinion ou encore au droit de négociation pour les organisations syndicales.
Je crois qu’il est important de bien prendre conscience de l’amplitude de vos réformes. En 1981, il y avait un peu plus de 2 millions de fonctionnaires de l’État. Aujourd’hui les trois versants de la fonction publique – État, territoriale et hospitalière – totalisent 5,5 millions d’agents.
Le cadre que vous avez construit pour les fonctionnaires a permis à la Fonction publique de se déployer sur tout le territoire et de mieux servir nos concitoyens.
En temps de crise, on souligne souvent l’importance du service public qui est une singularité française et dont nous pouvons être fiers.
Toute notre histoire récente s’est construite sur des principes de justice et d’égalité sociale en matière de service public et c’est en partie grâce à vous.
La Fonction publique telle que vous l’avez pensée à l’époque avait une vocation centrale : celle d’agir comme un puissant amortisseur social pour nos compatriotes. Je ne crois pas trahir votre approche en disant que la Fonction publique est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. En cela, elle est nécessaire à la survie de notre modèle social.
Vous l’avez senti très tôt, les temps sont en train de changer. Notre siècle va appeler une intervention publique de plus en plus forte. Notre siècle doit devenir l’âge d’or des services publics – car il faut l’affirmer le service public à la française a un avenir pour accompagner notre développement économique et pour fournir à nos concitoyens les protections qui leur sont nécessaires. Ce défi, j’ai décidé de le relever dans le sillon que vous avez tracé. Vous avez été en quelque sorte un passeur.
Mais revenons au statut. Un statut dont vous êtes le père fondateur mais aussi l’architecte. Ne parle-t-on pas encore aujourd’hui de la « cathédrale statutaire » ? Un modèle robuste et moderne qui a inspiré de nombreux pays.
Car au coeur de vos réflexions, c’était bel et bien la notion même de fonctionnaire qui était questionnée.
Est-il un citoyen comme un autre ? Quels sont ses droits ? Ses devoirs ? En d’autres termes, est-il un sujet ou un citoyen ?
Lorsqu’est née la Fonction publique, Michel Debré était catégorique : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait ».
Lorsque vous êtes arrivé aux responsabilités, vous avez voulu vous émanciper de cette conception du fonctionnaire-sujet. Avec la création du statut par étapes, vous avez fait le pari du fonctionnaire-citoyen.
Comment ? En lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général, les droits et les devoirs qui lui incombent.
Visionnaire, vous avez toujours défendu une approche solidaire de la Fonction publique. Une approche nourrie par un goût pour le dialogue social que je partage avec vous.
Votre plus grande réussite : avoir contribué à créer et pérenniser le statut des fonctionnaires. Un statut équilibré qui perdure aujourd’hui encore et qui a fait ses preuves au service de nos concitoyens.
Et s’il est parfois décrié, c’est davantage sur ses mésusages que sur ses fondamentaux. D’autant que ce statut n’est pas un monolithe : les différents gouvernements depuis 30 ans ont su l’adapter – pas moins de 225 modifications législatives – tout en préservant, jusqu’à présent, ses fondamentaux.
Je me battrai, avec vous et avec beaucoup d’autres, pour le défendre dans les mois qui viennent, à un moment où il ne cesse d’être attaqué. Car oui, cher Anicet Le Pors, le statut est aujourd’hui menacé.
Les actuels débats autour de la primaire de la droite et du centre en témoignent : les fonctionnaires sont aujourd’hui présentés comme des poids pour la société. Ils servent de boucs émissaires aux démagogues qui oublient que derrière leurs exagérations, derrière leurs caricatures, il y a des femmes et des hommes, engagés pour servir l’intérêt général.
Mais d’autres démagogues, encore plus à droite, prétendent quant à eux revenir à un service public chimiquement pur à l’abri des frontières. Ces marchands d’illusion sont d’autant plus dangereux qu’ils avancent désormais masqués. Face à eux, il faut tenir un discours de vérité sur la place de la Fonction publique.
Ceux qui nous promettent la suppression de 200 000 voire 500 000 postes foulent au pied notre héritage et fragilisent la République. Contre ce démantèlement programmé de la fonction publique, contre cette infernale logique comptable nous devons opposer notre vision de la Fonction publique. Celle d’une fonction publique qui sert, accompagne et protège nos concitoyens sur tout le territoire. Celle d’une Fonction publique plus ouverte et plus transparente, plus diverse et plus innovante. Voilà la Fonction publique que je porte.
Un élu de conviction
Mais revenons à votre carrière qui n’est pas réductible à votre fonction de Ministre de la Fonction publique. Sénateur des Hauts de Seine entre 1977 et 1981, conseiller général des Hauts de Seine de 1985 à 1998, vous avez, au cours des différents mandats qui vous ont été confiés, été un grand serviteur de la République. Votre vie est marquée par un engagement passionné au service de l’Etat.
Car vous croyez à l’action publique. Vous avez toujours voulu voir plus loin et plus grand et ce en toutes circonstances.
En 1985, vous êtes nommé Conseiller d’Etat, membre de la section contentieux et de la section travaux publics. Vous y resterez pendant 15 ans.
En 2000, vous présidez le comité pour l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques. Vous avez en effet été l’un des premiers à nous sensibiliser à la question de la parité dans la Fonction publique. Un sujet qui intéressait peu à l’époque et dont vous avez été un véritable précurseur.
Et si la route pour l’égalité est longue et difficile, quel chemin parcouru depuis 2000 !
Dans le cadre de vos différentes fonctions et elles ont été nombreuses, vous avez toujours été apprécié pour votre professionnalisme et votre implication.
Et surtout, vous avez toujours gardé, chevillée au corps, votre conviction dans les valeurs du service public. C’est une conviction que nous avons en commun et que je m’attache à transmettre en tant que Ministre de la Fonction Publique.
L’intellectuel
Depuis que vous êtes « libéré » de vos mandats électifs, vous avez continué à penser la société dans laquelle vous vivez. Et si vous faites ce travail, c’est pour mieux guider les jeunes générations, pour mieux les orienter et les aider à faire les bons choix.
Votre inlassable engagement associatif en témoigne, notamment en faveur du droit d’asile qui est une cause qui vous est chère.
Vos talents de prospective ne sont plus à prouver. Et c’est peut-être l’aspect de votre parcours qui est le moins visible.
Anicet Le Pors, vous êtes un intellectuel. Tout au long de votre vie, vous avez imaginé des chemins de traverse et exploré des nouvelles pistes de réflexion sur des sujets très variés.
Mieux que personne, vous incarnez ce que doit être un homme politique moderne.
Un homme qui doit maitriser la technique et les différents rouages de l’administration mais qui est en mesure de s’aventurer sur des sentiers inconnus pour proposer un projet commun.
Vous êtes de ces hommes-là. De ceux dont la vision embrasse le monde qui les entoure et qui ont la capacité de se projeter pour anticiper les problématiques futures.
Comme en témoigne votre carrière, l’homme politique est aussi un médiateur qui travaille aussi pour les générations qui construiront la France de demain.
Enrichir le débat, innover, faire bouger les lignes, traduire une pensée en acte, voilà la trace que vous avez laissée derrière vous.
Vous savez, lorsque j’ai été nommée au Ministère de la Fonction publique en février dernier, j’ai beaucoup lu pour me plonger dans les dossiers. J’ai lu des notes, des rapports, des synthèses mais j’ai surtout lu avec attention un ouvrage qui venait de paraitre intitulé « La Fonction publique du XXIème siècle ». Cet ouvrage, vous en êtes l’auteur avec Gérard Aschieri ici présent. Qui mieux que vous pouvait défendre une fonction publique attaquée de toutes parts ?
Qui mieux que vous pour souligner l’importance de la Fonction publique et des fonctionnaires à l’heure où leur utilité ne cesse d’être contestée ?
On ne peut être qu’admiratif quant à la singularité et la richesse de votre parcours. Hautfonctionnaire rigoureux, sénateur passionné, ministre emblématique de la gauche, conseiller d’Etat atypique, syndicaliste épris de justice, militant associatif obstiné, intellectuel visionnaire, les étiquettes ne manquent pour vous décrire.
Saviez-vous que vous étiez même mentionné dans une chanson du rappeur MC Solaar aux côtés de personnalités aussi diverses que Pierre Juquin et Desmond Tutu ? Le signe que vous avez laissé une empreinte forte dans l’imaginaire des Français.
Difficile donc de vous figer dans une quelconque case. Cher Anicet Le Pors, vous faites partie de ces personnalités forgées du bois des inclassables.
Votre parcours comblerait certainement tout jeune ambitieux. Mais c’est là l’une de vos spécificités. Ce n’est pas l’ambition pour elle-même qui a guidé votre engagement, c’est le désir de servir l’intérêt général. C’est la volonté de faire triompher vos idéaux et d’imprégner la société toute entière des valeurs qui sont les vôtres.
La Fonction publique vous doit beaucoup. Le service public vous doit beaucoup. La France vous doit beaucoup. Et pour cela, j’aimerais vous témoigner notre reconnaissance.
Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, nous vous faisons commandeur dans l’ordre national de la Légion d’honneur.
* Seul le prononcé fait foi